Le paradoxe du développement personnel

Par Céline Ozouf

Devenir la meilleure version de soi-même? Une invitation largement reprise par le secteur prolifique du développement personnel. Si l’idée – devenue promesse de vente – semble alléchante, elle n’en reste pas moins ambitieuse. Alors d’où vient cet engouement pour le développement personnel? Peut-on s’y adonner sans s’y perdre? Existe-t-il vraiment une recette au bonheur ou à la réussite?

Le développement personnel est généralement défini comme le fait de s’aider soi-même ou de chercher à s’améliorer sans l’aide d’autrui1. Cela consiste à faire face aux problèmes de la vie quotidienne en autonomie, à travers la lecture d’ouvrages ou l’adhésion à un groupe de soutien2. Les livres et Internet sont d’ailleurs les principaux moyens de diffusion de ce type de contenu.

Le développement personnel se distingue donc de la psychothérapie en ce sens qu’il se pratique le plus souvent seul, et s’intéresse non pas à la guérison d’un trouble psychologique en particulier, mais davantage à la croissance de l’individu4.

Tandis que le développement personnel résonne comme un phénomène de mode plutôt récent, ses influences sont en réalité nombreuses et anciennes. Certains auteurs les font remonter à l’Antiquité, en référence aux philosophes grecs et à leur façon d’exercer leur esprit à travers la pratique de l’ascétisme5, alors que les influences plus contemporaines comprendraient celles de la religion, de la philosophie, et plus récemment de la psychologie, notamment la psychologie positive et le courant humaniste6.

Après s’être beaucoup démocratisé, le phénomène du développement personnel – parfois nommé psycho-pop ou psychologie populaire – est aujourd’hui largement médiatisé et c’est davantage pour des raisons d’accessibilité, de confidentialité et de coût que nous en consommons le contenu7.

Entre motivation personnelle et influence de la société

Mais pourquoi tenons-nous autant à nous développer? Des auteurs comme Rogers et Maslow, à travers leurs définitions respectives de l’actualisation de soi, suggèrent que c’est un processus naturel de l’humain, et même un besoin psychologique, de vouloir développer et utiliser ses ressources ainsi que son potentiel8.

Toutefois, l’influence de l’environnement se fait aussi sentir. Starker, quant à lui, présente le développement personnel comme ancré dans la culture américaine depuis l’inscription de la poursuite du bonheur dans la déclaration d’indépendance, marquant une nouvelle vision de la société qui autorise les gens à rêver d’ascension sociale sur la base de leur mérite et de leurs capacités individuelles9.

On retrouve cette même influence de la société sur le développement personnel dans le propos d’Hazelden lorsqu’il rappelle que celui-ci porte une notion de responsabilité, voire d’obligation sociale. Selon lui, le contenu de ce genre promeut une image spécifique de ce qui est juste ou sain pour l’individu et de ce qu’est la bonne chose à faire pour son propre bien-être. Appliquer cette vision servira ensuite ses relations et, en fin de compte, la société elle-même. Ainsi, le développement personnel peut être vu comme produisant des citoyen.nes capables de s’adapter à la société, en se prenant en charge avant qu’elle n’ait à le faire10.

Se développer : oui, mais à quel prix?

Ainsi, bien que les ouvrages de développement personnel se targuent de vouloir et de pouvoir favoriser l’épanouissement, la réussite ou le bonheur de tout un chacun; la réalité et les résultats sont parfois autres.

Usant de titres et de promesses inspirantes, le développement personnel tomberait souvent dans des déclarations exagérées et peu solides, favorisant la déception ainsi que le blâme personnel lorsqu’on échoue à en mettre en pratique les conseils reçus11.

Or, une autre faiblesse du genre réside dans le fait de véhiculer une même recette de réussite ou de bonheur à tous, sous un format fixe (ex. le livre) ignorant ainsi les circonstances personnelles et différences individuelles de chacun, tout en laissant le.la lecteur.trice seul.e responsable de la compréhension et de l’application adéquate des conseils suite à sa lecture12.

S’accepter avant tout?

Participant au souhait de Georges Miller de rendre la psychologie accessible au plus grand nombre, le secteur du développement personnel aurait néanmoins contribué à véhiculer des conceptions erronées au sujet de la psychologie13, transmettant parfois une image stéréotypée de ce que pourrait ou devrait être une bonne façon de vivre, et invitant ainsi à chercher la meilleure version de soi-même là où elle ne se trouve pas.Devant la responsabilité encouragée face à son propre bien-être et l’optimisme à toute épreuve que recommandent certains ouvrages, certains ne manquent pas de rappeler que tout n’est pas toujours sous notre contrôle et qu’au lieu d’ignorer l’influence de l’environnement sur notre trajectoire de vie, il est aussi productif d’accepter ce qu’on ne peut changer14. Ce rappel fait écho à la phrase désormais célèbre de Carl Rogers : « Il existe un curieux paradoxe : quand je m’accepte tel que je suis, alors je peux changer ».

Références

(1) Do self-help books help? (2008). Journal of Happiness Studies, 9(3), 341-360, https://doi.org/10.1007/s10902-006-9041-2

(2) Self-Help Definition. http://dictionary.apa.org/self-help

(4) Marmion, J.-F. (2012). Histoire de la psychologie. Éd. « Sciences humaines », https://doi-org /10.3917/sh.marmi.2012.01.0175

(5) Ibid

(6) Jaotombo, F. (2009). Vers une définition du développement personnel: Humanisme et Entreprise, n° 294(4), 29‑44. https://doi.org/10.3917/hume.294.0029

(7) Do self-help books help? (2008). Journal of Happiness Studies, 9(3), 341-360, https://doi.org/10.1007/s10902-006-9041-2

(8) Jaotombo, F. (2009). Vers une définition du développement personnel: Humanisme et Entreprise, n° 294(4), 29‑44. https://doi.org/10.3917/hume.294.0029

(9) Do self-help books help? (2008). Journal of Happiness Studies, 9(3), 341-360, https://doi.org/10.1007/s10902-006-9041-2

(10) Hazleden, R. (2003). Love Yourself : The Relationship of the Self with Itself in Popular Self-Help Texts. Journal of Sociology, 39(4), 413‑428. https://doi.org/10.1177/0004869003394006

(11) Rosen, G. M. (1987) Self-help treatment books and the commercialization of psychotherapy. American psychologist, 42, 46–51. https://doi.org/10.1037/0003-066X.42.1.46

(12) Do self-help books help? (2008). Journal of Happiness Studies, 9(3), 341-360, https://doi.org/10.1007/s10902-006-9041-2

(13) Banyard, P., & Hulme, J. A. (2015). Giving psychology away : How George Miller’s vision is being realised by psychological literacy. Psychology Teaching Review, 21(2), 93‑101. https://doi.org/10.53841/bpsptr.2015.21.2.93

(14) Do self-help books help? (2008). Journal of Happiness Studies, 9(3), 341-360, https://doi.org/10.1007/s10902-006-9041-2


Corrigé par Émilie PauzéMegan Racine et Rosalie Villeneuve

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Laurie-Anne Vidori