Lettre ouverte
Par Laurence Trudeau
Ces derniers temps, nous pleurons la mort. Nous pleurons ces tragédies qui ont emporté des victimes innocentes, nous pleurons cette souffrance qui fait ravage dans notre société, mais combien de larmes couleront sur nos joues avant que l’on passe à l’action ?
Après Laval, Rosemont et Amqui, le verdict semble simple et évident, mais si je vous dis qu’il ne l’est pas pour autant…
Parce que quand ça ne va pas bien et que le monde ne tourne pas rond, la première chose que l’on pointe du doigt ce sont les troubles de santé mentale.
Mettre de l’avant cette seule et unique explication, c’est mettre de l’avant la stigmatisation. C’est porter atteinte à ceux et à celles qui souffrent d’un trouble de santé mentale quotidiennement, mais qui ne commettent pas pour autant des gestes de violence. Susceptible de provoquer d’autant plus de préjudices, il est trop simple de tirer hâtivement des conclusions sans réflexion. Pourtant, cette association erronée, cette désinformation porteuse de discrimination, se fait entendre à la grandeur de la population. C’est alors que les faits scientifiques nous montrent, à l’encontre de ce jugement, que seulement une faible minorité de personnes atteintes de troubles de santé mentale commettent un acte de violence au cours de leur vie 1. Ces personnes, membres de notre famille, ami.e.s, collègues de travail, ne devraient pas avoir à subir les conséquences de ce que d’autres ont commis. Retirer le permis de conduire aux personnes atteintes de trouble de santé mentale, c’est brimer l’autonomie et la liberté de ces personnes qui n’y sont pour rien. Osons imaginer quel en sera l’impact sur la normalisation de la santé mentale et la recherche de soutien dans notre société. C’est comme vouloir aller de l’avant en prenant un pas de recul. La santé mentale va rester un tabou, les gens qui souffrent vont continuer de souffrir et nous sommes loin de faire du progrès pour améliorer la situation actuelle.
Tous et chacun sont concernés, parce que nul ne sait si, un jour, l’obscurité sera de passage par chez nous. Nous ne pouvons prévoir qu’un jour l’amplitude de notre souffrance sera telle que nous considérerons mettre fin à notre vie ou à celle d’autrui. Nous ne pouvons prévoir si un jour nous serons une victime de la pauvreté, de la crise du logement, de la faillite, de la perte d’un emploi, de la discrimination, de la stigmatisation, de la consommation de substances illicites, de conflits, ou encore de lourds traumatismes. Cette liste est loin d’être exhaustive, mais lorsque l’on s’y attarde, il y a plus d’une chose qui est associée au mal-être de notre société. Accuser la santé mentale, c’est fermer les yeux sur tout ce qui se passe autour de nous. En étiquetant les individus par les symptômes émergents d’un possible diagnostic, nous négligeons les causes à la source de cette souffrance. Avoir une vision trop simpliste et réductrice, c’est éviter de reconnaître ce qui se passe en périphérie. Avec cette précipitation à sauter aux conclusions, nous négligeons l’importance et la complexité de la situation.
Pour mieux comprendre ce qui mène à de tels actes de violence, il est d’une nécessité inéluctable d’inclure dans notre réflexion les facteurs socioculturels gravitant autour de ces personnes. Comprendre la globalité du portrait de ces auteurs de violence permettrait de mieux cibler les interventions pouvant être implantées afin d’éviter la reproduction de ce cercle vicieux destructeur. En ayant une vision plus large de la situation, nous serons davantage en mesure de travailler les difficultés et les défis à la source du problème, afin d’amener des changements efficaces à long terme. En reconnaissant la situation personnelle et sociale de ces personnes en situation de souffrance, nous pourrons enfin entendre leurs véritables besoins et les facteurs de risques auxquels ces individus sont confrontés.
Ne nous le cachons pas, il y a plus d’un feu à éteindre au Québec et notre système fait défaillance à plusieurs égards. La montée de la société individualiste peut nous amener à faire fi de la collectivité et à nous décentrer des enjeux présents dans notre société. « Un pour tous et tous pour un », une phrase que nous avons tous et toutes déjà entendu.e.s, mais qui prend tout son sens. Effectivement, la santé mentale est un problème collectif, pas individuel. Bien qu’il y ait une part de génétique au développement d’un trouble de santé mentale, l’environnement y contribue grandement. En faisant de cet enjeu une problématique collective, nous optimisons les chances que la société dans son entier agisse sur ces facteurs afin d’alléger le fardeau porté par l’individu souffrant. Cette entraide et cette solidarité mutuelle est nécessaire pour faire avancer et évoluer la santé mentale et les inégalités sociales au Québec. Prenons exemple sur nos confrères et consœurs de l’autre côté de l’océan Atlantique. Implantons un programme d’intervention en santé mentale basé sur la promotion, la prévention, le dépistage, l’accessibilité à des ressources appropriées et le soutien aux populations en situation de vulnérabilité. Impliquons la population. Considérons les psychologues et les psychothérapeutes sur le même pied d’égalité que les médecins. Faisons de la santé mentale une priorité au même plan que la santé physique. Parce que si l’on ne prend pas la situation actuelle au sérieux, l’encre continuera de couler et nous coulerons à ses côtés.
Références
(1) Richard-Devantoy, S., Olie, J.-P., & Gourevitch, R. (2009). Risque d’homicide et troubles mentaux graves : Revue critique de la littérature. L’Encéphale, 35(6), 521‑530. https://doi.org/10.1016/j.encep.2008.10.009
Corrigé par Rosalie Villeneuve, Megan Racine et Émilie Pauzé
Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier
Illustration originale par Laurie-Anne Vidori