L’intelligence artificielle peut-elle être créative ?

Un regard sur les avancées et les limites de la créativité des machines

Par Ryan Derfoul

La créativité est souvent perçue comme une caractéristique intrinsèquement humaine, mais avec les progrès réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), il est temps de se poser la question : les IA peuvent-elles être créatives ?

Les limites du processus créatif de l’IA

Il est important de souligner que la créativité implique diverses opérations cognitives, telles que l’association ou encore l’analogie. Bien que les IA aient montré des compétences dans certaines de ces opérations, elles demeurent limitées par leur modèle de conception et leur base de données.

L’association est le processus cognitif qui consiste à lier et combiner des idées existantes pour en créer de nouvelles. Un exemple célèbre d’association est l’invention du Velcro. L’ingénieur suisse George de Mestral a observé comment les graines de bardane s’accrochaient aux poils des animaux et aux vêtements, et a eu l’idée d’associer cette propriété naturelle à un système de fixation pour divers objets. Cette association d’idées provenant de domaines distincts a donné naissance à une invention révolutionnaire.

Cependant, les IA actuelles sont limitées dans leur capacité à effectuer des associations créatives, car elles ont du mal à identifier et à exploiter les liens moins évidents entre des secteurs  différents. En outre, les modèles d’IA sont souvent entraînés sur des jeux de données spécifiques, ce qui limite leur capacité à associer des informations provenant de sources variées.

L’analogie, quant à elle, permet de transférer des connaissances d’un domaine à un autre en appliquant des principes similaires pour résoudre des problèmes. Un exemple marquant d’analogie est la conception du train à grande vitesse japonais Shinkansen. Les ingénieurs ont étudié le bec du martin-pêcheur, un oiseau capable de plonger dans l’eau sans éclaboussure ni bruit, pour résoudre le problème de l’effet de souffle lors de l’entrée et de la sortie des tunnels. Ils ont ainsi appliqué les connaissances acquises de l’aérodynamique du bec du martin-pêcheur pour concevoir la forme du nez du train, réduisant ainsi les nuisances sonores et améliorant l’efficacité énergétique.Malgré ces exemples d’analogies réussies dans le monde humain, les IA rencontrent plusieurs défis pour maîtriser ce concept. Tout d’abord, elles ont tendance à se concentrer sur des propriétés perceptuelles de bas niveau (comme les couleurs, les formes ou les textures) plutôt que sur des aspects conceptuels de haut niveau Par conséquent, elles peuvent avoir du mal à établir des analogies basées sur des principes abstraits ou des relations moins évidentes. Par exemple, elle pourrait avoir du mal à élaborer une analogie entre les vagues de l’océan et les vibrations des ondes sonores.

La subjectivité de la créativité

La question de la nouveauté générée par l’IA est un sujet de débat passionnant dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la créativité. Prenons l’exemple de StableDiffusion qui est une IA qui permet de générer des illustrations seulement à l’aide d’un prompt. Bien que celle-ci puisse produire des images artistiques en mélangeant le style d’une œuvre d’art célèbre avec le contenu d’une autre image, cela soulève la question de savoir si ces créations sont réellement innovantes ou si elles ne sont que le résultat d’un processus d’optimisation basé sur des données existantes.

D’un côté, il est indéniable que l’IA de StableDiffusion génère des images uniques qui n’ont jamais été vues auparavant. Les combinaisons de style et de contenu créées peuvent être considérées comme nouvelles et originales, dans la mesure où elles sont différentes des images d’origine. De plus, le processus de génération de ces images fait appel à des techniques algorithmiques avancées qui permettent à l’IA de naviguer dans l’espace des possibles pour créer des œuvres visuellement intéressantes et cohérentes.


Stablediffusion, prompt: la créativité de l’AI

D’un autre côté, les styles et les contenus utilisés par StableDiffusion proviennent d’œuvres d’art existantes, ce qui signifie que l’IA ne fait que réorganiser et combiner des éléments déjà présents dans ces œuvres. En d’autres termes, elle ne crée pas de véritable nouveauté, mais optimise plutôt des données existantes pour créer des images qui semblent nouvelles et originales.

De plus, il est important de noter que l’IA de StableDiffusion ne comprend pas nécessairement les intentions artistiques ou le contexte culturel des œuvres d’art qu’elle utilise comme données d’entrée. L’évaluation de la valeur créative d’une production, qu’il s’agisse d’une œuvre d’art ou d’une idée innovante, est un processus complexe et subjectif. Pour les humains, cela implique généralement d’analyser et de juger l’originalité, la pertinence, la complexité, l’esthétique et l’impact émotionnel de la création. Cependant, les IA rencontrent des difficultés pour évaluer la valeur créative de leurs productions, en raison de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, elles ont du mal à saisir et à évaluer les aspects émotionnels et expressifs d’une création. Les émotions jouent un rôle crucial dans l’évaluation de la valeur créative, car elles déterminent souvent la résonance d’une œuvre avec le public. Les IA, en revanche, sont principalement axées sur l’analyse et la génération de structures logiques, ce qui limite leur capacité à comprendre les nuances émotionnelles et à les intégrer dans leurs créations.

De plus, les IA manquent de contexte et de sensibilité culturels pour évaluer correctement la valeur créative. Les créations artistiques et les idées innovantes sont souvent ancrées dans un contexte culturel spécifique et peuvent varier d’un domaine à l’autre, et d’une culture à l’autre, ce qui influence la façon dont elles sont perçues et appréciées. Les modèles actuels ont du mal à saisir ces nuances et à les intégrer dans leur évaluation. 

De plus, les IA sont confrontées au problème de la subjectivité. L’évaluation de la valeur créative est souvent subjective et dépend des préférences, des expériences et des attentes de l’évaluateur. Les IA, en revanche, sont basées sur des algorithmes et des modèles mathématiques qui peuvent manquer de flexibilité tenant compte de la diversité des opinions humaines. 

Enfin, les IA peuvent éprouver des difficultés à considérer l’équilibre entre l’originalité et la familiarité dans leurs évaluations. Une création peut être considérée comme trop originale ou trop familière, ce qui peut nuire à sa valeur créative. Les IA doivent apprendre à naviguer entre ces deux extrêmes pour évaluer correctement une production.

Pour surmonter ces défis, la collaboration entre les IA et les humains dans le processus d’évaluation pourrait permettre de combiner les forces de l’analyse algorithmique avec la sensibilité et l’intuition humaines, offrant ainsi une évaluation plus nuancée et complète de la valeur créative des productions. Dans l’avenir, il sera passionnant de voir si l’intelligence artificielle pourra franchir les barrières de la créativité, et comment cette évolution transformera notre monde. Mais pour l’instant, il semble que la créativité demeure un mystère que seul l’esprit humain est capable de déchiffrer.


Ressources

Basé sur ce magnifique article, il est recommandé à tous ceux qui s’intéressent au sujet : 

Esling, P., & Devis, N. (2020). Creativity in the era of artificial intelligence. arXiv preprint arXiv:2008.05959.  


Corrigé par Émilie PauzéMélanie Picard et Gabrielle Johnson

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)