Le silence en psychothérapie : un élément parlant

Par Justine Fortier

Alors que la physique le définit comme l’absence de propagation d’ondes sonores, le silence au sens philosophique dépend inévitablement du contexte dans lequel il évolue. Plus qu’une absence de communication, celui-ci est alors conceptualisé à titre de présence active elle-même riche de signification (Sabbadini, 1991). En psychothérapie, sa présence constitue une dimension intégrante de la relation thérapeutique, et s’intéresser à sa signification, à ses implications et à sa tolérance tant chez l’intervenant.e que chez le.a client.e peut s’avérer particulièrement enrichissant.  

Le silence est inhérent à toute forme de dialogue, lui-même permettant la structuration du discours. Sa présence est nécessaire à l’écoute, essentielle à la compréhension et médiatrice du rapport construit au sein de toute conversation. En psychothérapie, il constitue un phénomène complexe pouvant jouer un rôle crucial au sein du processus thérapeutique. Notamment, un tel type d’intervention peut être utilisé de manière à amener le.a client.e à réfléchir et à faire preuve d’introspection, à favoriser son autonomie, à transmettre l’empathie du thérapeute ou à démontrer son support (Ladany et al., 2004). De par son omniprésence au sein du dialogue, s’y intéresser peut s’avérer particulièrement révélateur des vécus affectifs et relationnels de l’individu. 

Dans un premier temps, la chercheuse et professeure Heidi Levitt définit trois types de silence propres à la psychothérapie, soient les silences productifs, neutres et obstructifs (2001). De fait, les périodes de silence productif se subdivisent elles aussi en trois catégories : les silences émotionnels, expressifs et réflectifs (Hill et al., 2019). Les premiers sont ainsi associés à une expérience émotionnelle plus riche et intense chez le.a client.e, les deuxièmes à une meilleure compréhension du ressenti intérieur, à un sentiment de progression dans le suivi thérapeutique et à un intérêt porté envers l’identification des émotions, tandis que les troisièmes sont liés à une recherche active de réponses et à l’apparition de nouvelles connexions entre certaines expériences de vie de l’individu. 

Pour leur part, les silences neutres sont ceux que l’on retrouve fréquemment dans les discussions tenues au quotidien, eux-mêmes permettant de retrouver les détails propres à un événement, de structurer la pensée et d’associer les prises de parole des différent.e.s interlocuteur.rice.s. 

Finalement, les silences de type obstructif sont ceux qui se traduisent par un désengagement de la part du.de la client.e ou par un déplacement de l’attention vers l’interaction thérapeutique (Levitt, 1998). D’une part, les pauses désengagées se produisent lorsque le sujet abordé est vécu comme inconfortable, vulnérable ou envahissant, que la personne est confrontée à une émotion intense auquelle elle tente d’échapper ou que celle-ci se désinvestit de la conversation après avoir jugé que le thème en question a suffisamment été exploré. De ce fait, les client.e.s peuvent avoir recours au silence afin de réorienter la discussion vers un sujet moins menaçant, de diminuer leur détresse émotionnelle en utilisant ce temps pour se recentrer ou de se désengager complètement de leur propre expérience affective. D’autre part, les silences interactionnels amènent l’individu à se concentrer sur l’expérience et la réaction de l’intervenant.e, sur la façon dont lui-même se présente pendant la session ou sur l’alliance thérapeutique, et peut l’amener à surveiller ou à ajuster sa propre conduite afin qu’elle n’affecte par la relation. Ceux-ci peuvent également émerger lorsque l’intervention effectuée par le.a thérapeute n’a pas été bien comprise par l’individu, que ce dernier cherche à fournir la «bonne réponse» en se plaçant dans une posture de nature performative ou qu’il fait l’expérience d’émotions négatives dirigées envers l’intervenant.e. Dans ce dernier cas, le.a client.e pourrait alors chercher activement à les réprimer plutôt qu’à risquer que leur expression contrarie le.a professionnel.le.

Par ailleurs, le silence au sein du rapport thérapeutique est conceptualisé de façon différente selon l’approche théorique dont il est question. Ainsi, la psychanalyse a été la première à s’intéresser à ce phénomène, celui-ci étant alors compris comme une forme de résistance et de censure de la part du.de la client.e, lui-même empêchant l’association libre et représentant une réaction défensive contre le transfert (Zeligs, 1961). Son interprétation s’étant depuis élargie, les moments de silence à l’intérieur d’une thérapie psychodynamique permettent de renseigner l’intervenant.e sur les conflits intrapsychiques, le fonctionnement adaptatif et les mécanismes transférentiels de l’individu, ainsi que de favoriser le contact avec sa propre expérience émotionnelle et le développement d’insight (Lane et al., 2002). De plus, le silence possède une valeur considérable au sein de la psychologie humaniste, celui-ci permettant d’explorer l’intersubjectivité présente au sein de la dyade thérapeutique et de favoriser l’autonomie de l’individu en lui offrant un espace d’accueil où il peut se dévoiler. Moins exploré au sein de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), où les objectifs sont alors plus précis et le suivi généralement de plus courte durée (Rector, 2010), le silence peut alors représenter un handicap à la progression du.de la client.e. En effet, les interventions en TCC se basant notamment sur les principes d’identification des schémas dysfonctionnels, de restructuration cognitive et de recherche de solutions alternatives plus adaptées, la parole est d’autant plus nécessaire à l’avancée du processus thérapeutique. 

Afin de donner suite à la théorie présentée au sein de la littérature scientifique, certaines questions ont été abordées avec Marc-Simon Drouin, professeur titulaire au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). 

Pour commencer, ce dernier explique qu’il faut faire preuve de prudence lorsqu’on s’intéresse à l’utilisation du silence en psychothérapie, puisque celle-ci ne représente pas nécessairement une stratégie thérapeutique en elle-même. Constituant en lui-même un phénomène complexe, s’intéresser à sa fonction, à ses répercussions et à sa tolérance chez le.a client.e peut être révélatrice de certains aspects de son vécu relationnel.

De plus, en s’attardant à son évolution au cours d’un même suivi, on tend à se rendre compte que le silence devient de plus en plus tolérable à la fois chez le.a client.e et chez le.a thérapeute. Bien que celle-ci ne soit pas standard et qu’il y existe donc une grande variabilité individuelle, le silence semble devenir plus confortable à mesure que progresse le processus thérapeutique. Subséquemment, ce n’est pas tant l’utilisation qu’en fait le.a psychothérapeute qui évolue au cours de sa pratique, mais bien son rapport à celui-ci. En effet, alors qu’au début d’une carrière, les moments silencieux pouvaient générer une certaine agitation chez le.a thérapeute, être vécus comme envahissants et improductifs ou être associés à un jugement d’incompétence lié à l’idée que leur responsabilité incombe à l’intervenant.e, l’expérience clinique tend à améliorer leur tolérance. Ainsi, les psychologues semblent devenir de plus en plus confortables avec le silence au fil de leur pratique, apprenant notamment que s’y intéresser peut mener à une réflexion riche sur les plans du vécu affectif et de la relation thérapeutique, qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir ou de chercher à s’en sortir immédiatement et que la manière dont est communiquée ou non un élément par le.a client.e est tout autant importante que son contenu. 

Interrogé quant à l’influence que peut avoir le silence sur l’alliance thérapeutique, docteur Drouin répond comme suit : 

Tout d’abord, l’alliance thérapeutique est faite de trois choses : une entente sur les objectifs, une entente sur les moyens et un lien affectif. Si le silence est fait d’un certain malaise ou si le client est dans une expérience que le thérapeute est incapable de décoder, [cela] va influencer le lien affectif entre le thérapeute et le client, puisque celui-ci ne se sentira pas compris ou ne sentira pas que le thérapeute est bien avec lui. À ce moment-là, on peut penser qu’une mauvaise lecture de l’expérience du client va nuire à la relation thérapeutique. Par exemple, si le thérapeute, dans l’entente sur les moyens, ne fait pas mention que le silence peut être correct, qu’on peut prendre le temps de réfléchir, qu’on n’est pas dans l’obligation de parler tout le temps ou qu’il n’explique pas à quoi peut servir le silence, ça peut aussi nuire à l’alliance. 

Également questionné quant à la manière dont il juge qu’un moment de silence se doit d’être brisé ou non, le professeur fournit la réponse suivante : 

En général, on va reconnaître qu’il y a des silences qui sont productifs et d’autres qui sont improductifs. Je vous dirais que lorsque le thérapeute ne comprend pas quel est le sens du silence, il serait mieux de le briser. Briser le silence, ça peut se faire de façon très délicate, quelqu’un pourrait simplement dire : qu’est-ce qui se passe en ce moment pour toi? [L’objectif] n’est pas nécessairement de demander à la personne d’élaborer tout de suite, mais de s’intéresser à ce qu’il se passe pour elle. Il y a des moments où il est clair que le client est en train de penser à quelque chose, qu’il devient ému par exemple, et c’est alors très important que le thérapeute puisse respecter cela. Néanmoins, lorsqu’il ne comprend plus l’expérience du client ou qu’il devient trop perplexe par rapport au silence, [c’est à ce moment qu’il devrait le briser]. 

En conclusion, le silence en psychothérapie est un élément qui, judicieusement exploité, peut favoriser une exploration détaillée du monde interne du.de la client.e et l’aider à atteindre une compréhension approfondie de sa propre expérience. Les psychothérapeutes se doivent cependant de questionner l’utilisation qu’iels peuvent en faire, tout comme la manière dont il est reçu, afin de s’assurer que ces moments silencieux soient adaptés et bénéfiques à l’individu entreprenant le suivi thérapeutique.


Références

Hill, C. E., Kline, K. V., O’Connor, S., Morales, K., Li, X., Kivlighan, D. M. et Hillman, J. (2019). Silence is golden: A mixed methods investigation of silence in one case of psychodynamic psychotherapy. Psychotherapy (Chicago), 56(4), 577–587. doi.org/10.1037/pst0000196

Hill, C. E., Thompson, B. J. and Ladany, N. (2003). Therapist Use of Silence in Therapy : A Survey. Journal of Clinical Psychology, 59(4), 514-524. doi/10.1002/jclp.10155

Lane, R. C., Koetting, M. G. et Bishop, J. (2002). Silence as communication in psychodynamic psychotherapy. Clinical Psychology Review, 22, 1091-1104. 

Levitt, H. M. (1998). Silence in Psychotherapy : The meaning and function of pauses [Thèse de doctorat, York University]. 

Levitt, H. M. (2001). Sounds of silence in psychotherapy : The categorization of client’s pauses. Psychotherapy Research, 11, 295-309.

Rector, N. A. (2010). La thérapie cognitivo-comportementale : Guide d’information. CAMH. 

Sabbadini, A. (1991). Listening to silence. British Journal of Psychotherapy, 7, 406-415.

Zeligs, M. A. (1961). The Psychology of Silence: Its Role in Transference, Countertransference and the Psychoanalytic Process. Journal of the American Psychoanalytic Association, 9(1), 7–43. doi.org/10.1177/000306516100900102


Corrigé par Florence FerlandAnne-Marie Parenteau et Emmanuelle Reeves

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)