L’admiration

Par Mathieu Poliquin

Idoles de jeunesse, personnages historiques, certaines personnes nous inspirent. Comment se fait-il que nous admirions ces personnes-là et pas d’autres ? Quel est l’intérêt d’encenser ou de vilipender une personnalité publique ? Explorons le phénomène d’admiration et ses implications au plan collectif.

La mécanique individuelle de l’admiration

Admirer, c’est s’attacher à une image qu’on se fait de quelqu’un (ou de quelque chose), qui constitue un idéal à atteindre. La personne admirée est perçue comme rare, exceptionnelle ou précieuse. On souhaite s’en rapprocher et posséder les mêmes caractéristiques. C’est un sentiment agréable que d’établir cette comparaison flatteuse et de nous imaginer comme elle. Puisque cette personne possède quelque chose de désirable pour nous, une hiérarchie s’installe. Pourtant, même si l’on reconnaît sa supériorité, il n’y a pas lieu de se dévaloriser ou d’être envieux, puisqu’on se voit en elle. Nous y sommes alignés à la manière d’un disciple auprès de son maître. On peut admirer une personne pour ses accomplissements, ses compétences ou des valeurs qu’elle porte, par exemple.

L’admiration est un sentiment d’appréciation d’autrui qui favorise une motivation personnelle à tendre vers l’idéal projeté et créer un désir d’affiliation concrétisé par des comportements prosociaux et même politiques en faveur de la personne admirée 1. En ce sens, admirer est bénéfique au plan individuel et collectif 2. L’admiration serait par conséquent un moteur d’action et un régulateur très important dans les relations de groupe 3.

« Sentiment de joie et d’épanouissement devant ce qu’on juge supérieurement beau ou grand ➙ émerveillementravissement. »

Le Petit Robert

Malheureusement, une image est parfois confrontée à une réalité qui nous plaît moins. Les gens ne sont ni tout bons ni tout mauvais, et qu’on le réalise en vieillissant ou qu’on l’apprenne à travers un scandale dans les journaux, cette désillusion peut faire mal quand l’image idéalisée est confrontée à une réalité trop différente de ce qu’on entretenait. Dans ce cas, l’affiliation peut laisser place à l’aliénation.

Admirer… le changement

La culture se construit et évolue constamment. Les valeurs véhiculées par un groupe peuvent changer. L’admiration est dans certains cas associée à la perception de compétence, du statut social, mais surtout à la légitimité de ce statut 4. Il est donc possible qu’un personnage autrefois encensé perde sa légitimité par la suite. Nous en avons eu un bon exemple en 2020 lorsque la statue de Macdonald, personnage déjà controversé, a perdu son droit de cité à la place du Canada à Montréal : il a en quelque sorte publiquement basculé du côté des vilains, à tout le moins dans la sphère publique montréalaise. Pourtant, au lendemain de ce geste citoyen, la mairesse de Montréal ainsi que le premier ministre du Québec ont tous deux condamné le geste 5 (pour ne pas dire aboyer en la faveur de la statue), rappelant bien que différents groupes d’intérêts admirent ou vilifient différentes personnes. L’admiration collective constitue bel et bien un enjeu à la fois culturel et politique. Nous avons été témoins d’un antagonisme de la « classe politique » aux citoyens autour du déclassement d’une personnalité publique.

Statue de Macdonald déboulonnée en 2020. Graham Hughes – La Presse canadienne

Mais où sont les femmes !

On ne peut parler d’admiration sans nommer la fâcheuse tendance du patriarcat à rendre le parcours des femmes plus difficile et à effacer les femmes qui ont malgré tout réussi à se distinguer et qui mériteraient une reconnaissance bien plus pérenne au sein de notre société. Wikipédia nous dit que ce sont 60 femmes contre 895 hommes qui ont reçu des prix Nobel depuis 1901 6. À Montréal, elles brillent par leur absence, notamment dans la toponymie. Ceux qu’on décide d’admirer révèlent nos valeurs. Celles qu’on se permet d’oublier, aussi. Un changement dans les valeurs sociales se concrétise depuis 2018 avec le projet toponym’Elles, qui vise à augmenter la visibilité de femmes marquantes. Les citoyens sont d’ailleurs invités à soumettre un nom.

Toutes les causes ne sont pas nobles

Même les entreprises souhaitent qu’on les admire. Elles tentent de se bâtir une réputation et de percoler « dans la conscience du public jusqu’à devenir un élément de la culture » 7. Des intérêts financiers peuvent-ils influencer les choix de ceux que « le public » admire ? Ils peuvent du moins mettre certaines figures de l’avant. 

Une stratégie souvent utilisée par les grandes marques est de s’associer à une icône culturelle déjà en vogue. C’est un outil à double tranchant, puisque ces icônes peuvent parfois tomber en disgrâce… Ce fut récemment le cas  pour Adidas après une controverse entourant Kanye West en octobre 2022 8. Tout dépend de ce qu’une marque – de la même manière qu’un individu – est prête à endosser (ou à endurer avant de rompre l’image). Adidas a préféré un préjudice financier de millions de dollars plutôt que d’être associé à Kanye West. Ce fait est très parlant quant à la valeur de l’image. L’admiration, puisqu’elle porte sur des images, joue un rôle capital dans nos perceptions culturelles. Qui produit la culture et ses idoles ?

Admirer empêche-t-il la lucidité ? 

L’admiration, comme nous l’avons dit, est une forme d’idéalisation, qui se base en partie sur des préjugés. Équivaut-elle à voir nos idoles en rose ? Il est possible qu’une admiration grandisse et verse dans le culte de la personnalité et le fanatisme. Comment garder une vision critique ? Il n’y a pas de recette miracle pour empêcher la radicalisation et nous sommes tous victimes à certains degrés de clivages sociaux. 

Il existe une technique utile en science comme au quotidien pour tenter de contrer ce qu’on appelle le biais de sélection : faire l’avocat du diable. Chercher l’information contraire et s’intéresser à l’opinion des détracteurs permet de voir l’autre côté de la médaille. Un moyen efficace de le faire consiste à solliciter une variété de sources d’information.

De ceci ressort une seule évidence : une admiration universelle n’existe pas. Les débats sont donc nécessaires pour y voir plus clair. Les seuls endroits où les bons (admirables) et les méchants (détestables) sont facilement identifiables sont les contes de fées ou les films d’action..!


Références

(1) Admiration regulates social hierarchy: Antecedents, dispositions, and effects on intergroup behavior – ScienceDirect

(2) Witnessing excellence in action: the ‘other-praising’ emotions of elevation, gratitude, and admiration: The Journal of Positive Psychology: Vol 4, No 2 (tandfonline.com)

(3) Ibid

(4) Admiration: A Conceptual Review – Diana Onu, Thomas Kessler, Joanne R. Smith, 2016 (uqam.ca)

(5) Une statue déboulonnée, des divisions ravivées | Le Devoir

(6) Place des femmes dans l’attribution du prix Nobel — Wikipédia (wikipedia.org)

(7) Brand admiration : building a business people love | Université du Québec à Montréal (worldcat.org)

(8) https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1927607/adidas-largue-kanye-west-apres-propos-antisemites


Corrigé par Emmanuelle ReevesÉmilie Pauzé et Rosalie Villeneuve

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)