Par Olga Fliaguine
Nous souhaitons remercier chaleureusement M. Éric Hanigan, candidat au doctorat en psychologie à l’UQAM, de nous avoir accordé de son temps pour une entrevue très enrichissante sur le sujet.
Vous est-il déjà arrivé de vous sentir fatigué, mais une fois la musique dans les oreilles, vous avez non seulement retrouvé votre entrain, mais avez même fracassé votre record à l’entraînement ? Avez-vous également déjà eu des larmes aux yeux, ressenti des frissons ou de l’euphorie en entendant une certaine mélodie? Bien que les préférences musicales soient très personnelles, peu d’individus sont indifférents vis-à-vis de la musique.
Complexité et universalité
La musique est universelle et présente partout dans notre quotidien, mais également dans toutes les cultures à travers l’histoire, jouant un rôle dans la cohésion sociale, la religion, le divertissement et dans les soins aux jeunes enfants1. Il s’agit d’un art complexe d’une extrême diversité qui permet d’exprimer une riche palette d’émotions et de sentiments comme la contestation et la colère, la détresse et la douleur, ou encore l’amour. Elle suscite chez l’auditeur une variété d’émotions qui sont influencées par les facteurs internes de ce dernier (l’humeur du moment et les expériences passées), ses traits de personnalité et le contexte. Les émotions ressenties varient également selon les caractéristiques de la musique écoutée telles que le ton, le timbre ou encore le tempo. Par exemple, une musique rapide en tonalité majeure a tendance à provoquer de la joie alors qu’une musique lente en tonalité mineure a tendance à induire de la tristesse2. La manipulation de ces caractéristiques permet aux compositeurs (et aux scientifiques en laboratoire) de provoquer l’émotion voulue chez l’auditeur3. Enfin, en plus de nous faire vivre des émotions familières, la musique peut aussi susciter des émotions qui sont rarement vécues au quotidien, telles que la transcendance ou encore l’émerveillement4.
Une importante activation cérébrale et des effets thérapeutiques
Malgré les différences individuelles quant à ses effets, de nombreuses études ont montré que la musique a la capacité de modifier à grande échelle l’état des systèmes neuronaux5. L’écoute d’une musique consonante et perçue comme agréable par l’individu, semble activer les zones associées au plaisir et à la récompense, également impliquées dans les comportements liés à la nourriture, au sexe et à l’argent. Ces zones jouent un rôle dans la libération de dopamine et d’opioïdes, pouvant provoquer ainsi des émotions positives, des frissons et même diminuer la douleur. La musique agit également sur les structures cérébrales responsables de la production et l’inhibition de la fameuse hormone du stress, le cortisol. Ces découvertes ouvrent la voie à l’utilisation de la musique dans un contexte thérapeutique, entre autres, pour diminuer le stress ou encore gérer la douleur6. Même si déjà à l’Antiquité des médecins et philosophes avaient vanté les effets de la musique sur la santé, les découvertes en neuroscience permettent de voir un lien entre les émotions induites par la musique et ses effets thérapeutiques7.
Un outil inédit pour identifier les émotions
Les recherches scientifiques ouvrent également la voie à l’utilisation de la musique pour identifier les émotions vécues. En effet, l’expression des émotions à travers les mots peut se heurter aux limites de la langue ou des capacités linguistiques de l’individu. La musique, quant à elle, semble franchir plus facilement les barrières culturelles dans la reconnaissance des émotions. M. Éric Hanigan, candidat au doctorat en psychologie à l’UQAM, a ainsi élaboré un instrument de mesure des émotions par la musique. Dans un récent article, publié en collaboration avec les professeur.e.s Bonneville-Roussy (UQAM), Dupuis (UQAM) et Fortin (UOttawa), M. Hanigan a montré que la musique pouvait être utilisée pour aider les individus à reconnaître leurs émotions, au même titre qu’un questionnaire auto-rapporté8. De tels outils seraient particulièrement pertinents avec des populations qui rencontrent des difficultés à identifier leurs émotions comme les personnes souffrant d’alexithymie (difficulté à exprimer les émotions) ou du trouble du spectre de l’autisme (TSA). En effet, des données d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont montré que les mêmes zones liées aux émotions s’activent chez les individus neurotypiques et les individus TSA9. Selon M. Hanigan, de futures recherches devraient agrandir la gamme des émotions identifiées pour permettre la création d’outils cliniques adaptés.
En plus de nous faire vivre un large éventail d’émotions avec des bénéfices importants pour la santé, des études ont montré que l’apprentissage d’un instrument de musique a un effet sur la plasticité cérébrale10. Donc, si vous avez toujours rêvé de jouer d’un instrument de musique, n’hésitez pas, les effets sont bénéfiques, peu importe l’âge!
Références
(1) Mehr, S. A., Singh, M., Knox, D., Ketter, D. M., Pickens-Jones, D., Atwood, S., Lucas, C., Jacoby, N., Egner, A. A., Hopkins, E. J., Howard, R. M., Hartshorne, J. K., Jennings, M. V., Simson, J., Bainbridge, C. M., Pinker, S., O’Donnell, T. J., Krasnow, M. M., & Glowacki, L. (2019). Universality and diversity in human song. Science, 366(6468), eaax0868. https://doi.org/10.1126/science.aax0868
(2) Hunter, P. G., Schellenberg, E. G., & Schimmack, U. (2010). Feelings and perceptions of happiness and sadness induced by music: Similarities, differences, and mixed emotions. Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 4(1), 47–56.
(3) Juslin, P. N., & Laukka, P. (2004). Expression, Perception, and Induction of Musical Emotions: A Review and a Questionnaire Study of Everyday Listening. Journal of New Music Research, 33(3), 217–238. https://doi.org/10.1080/0929821042000317813
(4) Koelsch, S. (2014). Brain correlates of music-evoked emotions. Nature Reviews Neuroscience, 15(3), 170–180. https://doi.org/10.1038/nrn3666
(5) Habibi, A., & Damasio, A. (2014). Music, feelings, and the human brain. Psychomusicology: Music, Mind, and Brain, 24(1), 92–102. https://doi.org/10.1037/pmu0000033
(6) Chanda, M. L., & Levitin, D. J. (2013). The neurochemistry of music. Trends in Cognitive Sciences, 17(4), 179–193. https://doi.org/10.1016/j.tics.2013.02.007
(7) Schaefer, H.-E. (2017). Music-Evoked Emotions—Current Studies. Frontiers in Neuroscience, 11, 600. https://doi.org/10.3389/fnins.2017.00600
(8) Hanigan, É., Bonneville-Roussy, A., Dupuis, G., & Fortin, C. (2023). Validation of the Measure of Emotions by Music (MEM). Psychology of Music, 030573562211468. https://doi.org/10.1177/03057356221146811
(9) Caria, A., Venuti, P., & de Falco, S. (2011). Functional and Dysfunctional Brain Circuits Underlying Emotional Processing of Music in Autism Spectrum Disorders. Cerebral Cortex, 21(12), 2838–2849. https://doi.org/10.1093/cercor/bhr084
(10) Jäncke, L. (2009). Music drives brain plasticity. F1000 Biology Reports, 1. https://doi.org/10.3410/B1-78
Corrigé par Mélanie Picard, Florence Ferland et Gabrielle Johnson
Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier
Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)