Par Sarah-Jeanne Tourangeau
On pense souvent que davantage de gens se sentent seuls dans les cultures individualistes. En fait, c’est l’opposé : le sentiment de solitude serait plus élevé dans les cultures restrictives, cultures qui correspondent plus souvent aux cultures collectivistes.
Cependant, même si les cultures plus restrictives sont associées à plus de solitude, les cultures peu restrictives posent des risques de solitude différents. Le premier de ces deux types de culture réduit en général le risque d’isolation physique, mais augmentent le risque d’isolation émotionnel et perçu. Et inversement pour le second.
En effet, le cadre rigide pour les relations sociales offert par les cultures plus restrictives évite généralement qu’une personne habite seule, travaille de la maison, pratique ses loisirs par elle-même et finisse par avoir peu de contacts physiques avec d’autres. La culture protège donc les gens d’isolement physique.
Cultures restrictives qui ont des attentes plus précises et plus élevées par rapport aux relations sociales. Par exemple, une culture où le divorce est impensable serait plus restrictive qu’une culture qui le permet. En général, les cultures collectivistes sont plus restrictives que les cultures individualistes, mais il y a des exceptions et des nuances. Par exemple, aux États-Unis (culture généralement individualiste), les adolescents ressentent beaucoup plus de pression à être en couple qu’en Corée du Sud (culture généralement collectiviste), et risquent plus de souffrir de solitude s’ils n’atteignent pas ce standard. Les cultures individualistes tendent à avoir plus d’attentes en ce qui concerne les relations choisies (comme les amis) alors que les cultures collectivistes ont plus d’attentes en ce qui concernent les relations familiales. |
Or, ce même cadre peut empêcher les gens de trouver des relations qui leur conviennent. Par exemple, une culture qui découragerait le fait de mettre fin à des relations ou qui rendrait difficile le commencement de nouvelles relations augmenterait le risque d’isolement émotionnelle, c’est-à-dire le sentiment de connecter peu avec les autres.
Les cultures plus restrictives ont un autre désavantage : elles proposent un standard, un idéal à atteindre, qui est plus élevé. Par exemple, durant la deuxième moitié du 20e siècle, il est devenu plus courant que des personnes âgées vivent seules, et, contre toute attente, le sentiment de solitude chez celles-ci (les personnes âgées qui habitent seules) a diminué! C’est donc la perception que ce n’est pas normal d’habiter seul qui contribue au sentiment de solitude. Comme la culture est devenue moins restrictive (les attentes y ont diminué), le sentiment de solitude perçu s’est affaibli. Il est intéressant de noter que c’est la restriction culturelle au niveau sociétal, et non au niveau individuel, qui produit les impacts mentionnés plus haut. Ce sont donc les attentes élevées, qui sont effectivement partagées par la majorité des membres d’une communauté, qui vont réduire l’isolement physique et augmenter l’isolement émotionnel vécu et perçu. Les normes culturelles au niveau individuel (l’idée que se fait un individu de ce que les autres membres de sa culture pensent) ont aussi un impact sur le sentiment de solitude, mais de manière différente, qui ne sera pas couverte dans cet article.
Quelle culture protège le plus contre la solitude?
L’idéal pour protéger les membres d’une communauté de la solitude serait donc un équilibre des restrictions. Des attentes ni trop élevées, ni trop faibles, devraient à la fois encourager les gens à aller vers les autres, et éviter qu’ils ne se retrouvent pris dans des relations qui ne leur permettent pas de s’épanouir ou de développer leur plein potentiel.
Références
Heu, L. C., van Zomeren, M., & Hansen, N. (2021). Does Loneliness Thrive in Relational Freedom or Restriction? The Culture-Loneliness Framework. Review of General Psychology, 25(1), 60–72. https://doi.org/10.1177/1089268020959033
Corrigé par Emmanuelle Reeves, Florence Ferland et Anne-Marie Parenteau
Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier
Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)