Par Mathieu Poliquin
Attention ! Cet article pourrait entraîner des économies imprévues
Si vous avez regardé le très Américain Super Bowl LVII le 12 février, vous avez pu assister à une partie tout à fait enlevante, un spectacle de mi-temps en direct à couper de souffle par l’excellente Rihanna et avez probablement aussi profité d’une belle soirée entre amis à manger des ailes de poulet ou de chou-fleur (c’est encore meilleur). Mais sauriez-vous dire qui furent les grands gagnants de la soirée ? Les Chiefs ? Mais non, ce sont les publicitaires, bien sûr.
Saviez-vous que les entrepreneurs diffusant leurs annonces, lors de cette soirée, ont été prêts à investir 9,5 millions $CAD1 pour 30 secondes de votre attention ? Ou plutôt, devrais-je dire, pour l’attention des 113 millions d’Américains qui ont suivi l’évènement. Il y a longtemps que les fameuses pubs du Super Bowl sont entrées dans la culture et ajoutent au mythique de l’évènement2. Ces sketchs rivalisent d’ingéniosité et d’humour année après année. Certaines personnes disent même regarder le Super Bowl uniquement pour les publicités ! Cela dit, quel rapport entretenons-nous avec la publicité ? La connaissons-nous vraiment ?
Malheureusement, ce qui est humoristique n’est pas forcément ce qui est le plus efficace pour les publicitaires. Chaque jour, nos cerveaux sont sollicités par une impressionnante dose de publicité prenant des formes plus variées les unes que les autres. Qu’on pense aux annonces, commandites radio, à la télé, aux bandes défilantes sur internet, aux interruptions fort désagréables de ses vidéos YouTube, aux panneaux d’autoroute, bref, tout ce qui est susceptible de capter notre attention peut servir pour y insérer de la publicité. Les publicitaires sont passés maîtres de l’envoi de messages souvent subtils. Il n’en tient qu’à nous de mieux comprendre nos propres mécanismes pour prendre des décisions plus éclairées. Après tout… n’est-ce pas la base du consentement ?
La psychologie au service des ventes
Là où il y a marketing, il y a communication. Il s’avère précieux, pour influencer des gens (et les faire dépenser), de savoir exploiter des techniques de persuasion, notamment par l’exploitation de biais cognitifs et par la maîtrise des principes de conditionnement.
La théorie des processus duaux3 est utile pour comprendre la manière dont on réfléchit quand on magasine. Elle suppose que la cognition humaine résulte de deux processus distincts : les heuristiques, qui sont des décisions rapides basées à la fois sur ses expériences passées et un jugement approximatif des apparences, et l’analyse lorsqu’on est face à un problème complexe. Les heuristiques sont de l’ordre des préjugés et nous font faire des erreurs au profit d’une réaction beaucoup plus rapide. Or, nos décisions émanent souvent d’heuristiques : imaginez le temps et l’effort que prendrait d’analyser chacune des décisions de votre vie ! Pourtant, en publicité, tout est effectivement calculé et pensé en fonction de vous faire prendre les décisions intuitives désirées. Rien n’est laissé au hasard. Bien sûr, en tant que public cible, vous ne pourrez pas toujours déceler le chemin qu’on veut faire prendre à votre pensée.
Toutes les publicités ne sont pas si élaborées : le simple conditionnement classique par la répétition du même message ou encore le titillement efficace de vos sens peut suffire. Les sens les plus souvent sollicités sont ceux qui ne demandent aucun consentement pour les activer, soit la vue, l’ouïe et… l’odorat ! Saviez-vous que plusieurs grandes surfaces utilisent des diffuseurs afin de faire associer une odeur particulière à leur magasin ? Ces diffuseurs sont habituellement visibles sous forme de boîtes grises lorsqu’on porte notre regard vers les grands ventilateurs près de l’entrée4. Portez-y attention lors de votre prochaine visite au centre commercial !
Jean dit : « Achète des roses »
Un exemple d’un évènement encore plus récent que le Super Bowl, j’ai nommé la terrible Saint–Valentin. Si certains redoutent ou ont carrément décidé d’abandonner cette fête, c’est qu’elle est décriée par plusieurs comme trop commerciale. En effet, n’est-il pas curieux qu’autant de gens décident d’acheter des fleurs le même jour pour leur bien-aimé.e ? Serait-ce un complot orchestré par les fleuristes ? Je penche plutôt vers la thèse des chocolatiers, car, à voir les rayons roses des magasins, l’achat de boîtes en forme de cœur est pour le moins – fortement – encouragé. Plusieurs traditions culturelles et religieuses se sont vues infiltrées de la sorte par un marketing qui engendre de lourdes conséquences psychologiques et sociales. Tout comme le père Noël habillé en rouge et le lapin de Pâques, des agrégats capitalistes ont su se greffer et devenir des éléments centraux de la culture.
Les produits culturels du quotidien ne sont pas en reste. Les séries Netflix peuvent aussi faire la promotion de quelque chose de façon accidentelle (ou non). Constatez, par exemple l’effet que la série The Queen’s Gambit a eu sur la vente de jeux d’échecs immédiatement à la sortie de la série5. La royauté britannique, avec leurs nombreuses interventions médiatiques et, désormais séries télé, est au cœur d’un phénomène fort intéressant qui vaudrait à lui seul un article complet. La publicité peut prendre les formes les plus diverses et vendre des produits ou même des idées.
Ne plus jouer avec Jean
On a le pouvoir de dire non. De changer les règles du jeu. D’imposer nos conditions. Pour éviter des déceptions, reprenons possession de nos évènements culturels et cessons de laisser Jean-Paul nous dire ce qu’on devrait faire ou acheter pour être heureux. Comment stopper cette voix schizophrène qui pénètre nos têtes partout où on pose le regard ? À défaut de pouvoir entièrement contourner la publicité, on peut en comprendre ses mécanismes, d’où elle vient, ce qu’elle cherche à faire et ainsi mieux s’affirmer face à ses impératifs. Si vous me permettez la mielleuse allégorie sportive : nos têtes sont nos propres terrains (de football) et il convient de n’y laisser entrer que les joueurs invités. Bien sûr, les partisans en bordure de terrain peuvent crier aussi fort qu’ils veulent leurs slogans, mais notre attention portera sur notre jeu, celui de notre propre vie. La publicité en soi n’est pas mauvaise, elle est un véhicule. D’ailleurs, si vous avez lu cet article, c’est bien que vous l’avez vu publicisé quelque part, à moins que vous lisiez le Journal Psy-curieux aussi assidûment que vous feuilletez les nouvelles le matin ! Il y en aurait encore beaucoup à dire sur le contrôle des médias et les perspectives de démocratisation de la publicité. À défaut de savoir quel rapport les publicitaires souhaitent entretenir avec nous, il est important d’être conscient du rapport que nous entretenons avec la pub. L’observation (de soi et de son environnement) développe la conscience, qui elle-même nous permet de mieux nous affirmer. Libérons-nous du joug des chocolatiers !
Références
(1) Le coût d’une publicité du Super Bowl en 2023: combien coûte une publicité pour le Super Bowl 57 ? | Sporting News
(2) Super Bowl 2023: Fox Sports atteint 113 millions de téléspectateurs (nypost.com)
(5) ‘The Queen’s Gambit’ la vente de matériel d’échecs s’envole – The New York Times (nytimes.com)
Corrigé par Emmanuelle Reeves, Florence Ferland et Anne-Marie Parenteau
Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier
Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)