« Quid pro quo Clarice »* : pourquoi aimer l’horreur ?

Par Olga Fliaguine

L’horreur est très populaire : films, livres, jeux vidéo ou encore maisons hantées sont consommés à grande échelle à travers le monde. Ce genre de divertissement provoque chez les usagers des réactions de peur, telles que l’augmentation de la fréquence cardiaque, de la respiration, de la perspiration, et va même jusqu’à susciter cris et sursauts, ou encore générer anxiété et cauchemars1. En général, la peur est perçue comme une émotion négative et non plaisante, alors pourquoi l’horreur est-elle aussi populaire ? La science s’est penchée sur la question et offre plusieurs explications.

Un divertissement formateur

Depuis toujours, on raconte aux enfants des histoires qui font peur pour les protéger contre certaines situations, ou encore pour donner vie à nos démons internes2. Ainsi, Le Petit Chaperon rouge a appris aux enfants à ne pas parler aux étrangers ou s’aventurer seuls dans la forêt ; Les Dents de la mer qu’il faudrait peut-être éviter de se baigner dans certaines zones ; Esther qu’il faut se méfier des petites filles avec des tresses (sauf si elle s’appelle « Mercredi », qui malgré son fort penchant pour le macabre semble plutôt inoffensive). Un grand nombre de scénarios nous ont également convaincus qu’il ne faut jamais, au grand jamais, descendre seul dans un sous-sol obscur ou bien visiter un cimetière de nuit.  Plus sérieusement, regarder un film d’horreur ou visiter une maison hantée nous permettrait d’apprendre comment réagir dans une situation « similaire » de peur, d’apprendre sur nous-mêmes, et même de développer des capacités de régulations émotionnelles3. Une récente étude a même observé que les amateurs de films d’horreur étaient plus résilients et mieux préparés à la pandémie de la COVID-19, et ce d’autant plus s’ils avaient une curiosité morbide4.

Une réaction physiologique grisante

La peur est un phénomène complexe qui entraîne notamment des modifications physiologiques pour permettre à l’individu d’agir lors d’une situation dangereuse. Les films d’horreur ou les maisons hantées provoquent une telle réaction avec des stimuli visuels et auditifs de danger : la vision d’une créature ou d’un tueur qui se faufile derrière l’un des protagonistes, une musique à suspens, le craquement du plancher, le sifflement du vent, ou encore le bruit d’une cervelle qui explose. Ces éléments ont tous un impact important sur le niveau de frayeur ressentie. L’amygdale est fortement impliquée dans la réaction de peur et agit très rapidement, avant même que l’individu ne soit conscient du danger. Par la suite, le cortex frontal évalue la situation pour déterminer si le danger est bien réel. Ce sont donc les va-et-vient entre les réactions automatiques des circuits de survie et l’analyse du danger par les systèmes exécutifs (et les hormones qui les accompagnent), qui provoquent la sensation plaisante de peur5. Enfin, il semblerait qu’une visite d’une maison hantée puisse également mener à une diminution de la réactivité cérébrale et à une amélioration de l’humeur chez les personnes qui ont volontairement décidé de participer à une telle activité6.

Tu ne m’auras pas!

Choisir un divertissement d’horreur permet de se mettre au défi tout en gardant un sentiment de contrôle. En effet, on est conscient qu’il s’agit d’une situation fictive ; on peut toujours décider d’arrêter le film, de fermer les yeux lors de scènes particulièrement effrayantes, ou bien utiliser plusieurs stratégies de régulation émotionnelle (ou se servir de ses amis comme bouclier humain…) pour maintenir les sensations d’angoisse à un niveau appréciable lors de la visite d’une maison hantée par exemple7. De plus, les participants semblent également ressentir un sentiment d’accomplissement d’avoir surmonté leurs peurs une fois l’expérience terminée6. Bref, comme l’a dit Stephen King, « on rentre dans la noirceur d’une salle de cinéma dans l’espoir de vivre un cauchemar, car notre monde et nos vies normales nous paraissent bien meilleurs lorsque le mauvais rêve prend fin »8. Ressentons-nous un soulagement de ne pas être à la place des pauvres protagonistes subissant les pires atrocités ?

Des différences de personnalité

Plusieurs auteurs se sont penchés sur les traits de personnalités caractérisant celleux qui apprécient les divertissements d’horreur. Ces études ont révélé des liens entre l’ouverture à l’expérience, la recherche de sensations fortes, l’extraversion et l’imagination9.  En particulier, une étude a identifié trois types de personnes : les « Adrenaline Junkies », les « White Knucklers » et les « Dark Copers ». Les premiers recherchent des sensations fortes et éprouvent du plaisir dans le fait d’avoir peur et dans les réactions physiologiques qui y sont associées, alors que les seconds subissent la peur et acceptent de se soumettre à cette situation, car ils apprécient l’apprentissage que leur rapporte l’expérience. Les troisièmes, quant à eux, recherchent une combinaison de ces deux effets3. Enfin, des études ont établi un lien avec l’empathie : même si les personnes plus empathiques semblent ressentir de la détresse en voyant les protagonistes souffrir, elles apprécient néanmoins l’expérience du danger et l’excitation ressentie lorsque le film connaît une fin heureuse10.

Que ce soit pour en apprendre sur soi-même, se préparer au pire, ou simplement pour apprécier le moment et le rush hormonal qui y est associé, le genre de l’horreur nous permet de visualiser et même de vivre par procuration les pires atrocités. Serait-ce également un moyen de voir ce que l’autre peut vivre ? En effet, nombreuses sont les personnes qui vivent l’horreur physiquement ou mentalement au quotidien. Ainsi, Baby Ruby, un nouveau film sorti cette année, explore la terrifiante descente aux enfers d’une nouvelle mère qui se bat contre la dépression post-partum, condition qui affecte de nombreuses mères. Alors, peut-être que tout en étant un divertissement, le genre de l’horreur pourrait nous aider à comprendre la peur et la détresse que peuvent vivre certaines personnes dans des situations bien trop réelles prenant place autour de nous ?

*The silence of the lambs, 1991


(1) Martin, G. N. (2019). (Why) Do You Like Scary Movies? A Review of the Empirical Research on Psychological Responses to Horror Films. Frontiers in Psychology, 10, 2298. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.02298

(2) Lindberg, E. (2018, October 30). Why do we like to be scared? USC experts explain the science of fright. USC News. https://news.usc.edu/151096/why-do-we-like-to-be-scared-usc-experts-explain-the-science-of-fright/

(3) Scrivner, C., Andersen, M. M., Schjødt, U., & Clasen, M. (2022). The Psychological Benefits of Scary Play in Three Types of Horror Fans. Journal of Media Psychology, 1864-1105/a000354. https://doi.org/10.1027/1864-1105/a000354

(4) Scrivner, C., Johnson, J. A., Kjeldgaard-Christiansen, J., & Clasen, M. (2021). Pandemic practice: Horror fans and morbidly curious individuals are more psychologically resilient during the COVID-19 pandemic. Personality and Individual Differences, 168, 110397. https://doi.org/10.1016/j.paid.2020.110397

(5) Nummenmaa, L. (2021). Psychology and neurobiology of horror movies [Preprint]. PsyArXiv. https://doi.org/10.31234/osf.io/b8tgs

(6) Kerr, M., Siegle, G. J., & Orsini, J. (2019). Voluntary arousing negative experiences (VANE): Why we like to be scared. Emotion, 19(4), 682–698. https://doi.org/10.1037/emo0000470

(7) Clasen, M., Andersen, M., & Schjoedt, U. (2019). Adrenaline junkies and white-knucklers: A quantitative study of fear management in haunted house visitors. Poetics, 73, 61–71. https://doi.org/10.1016/j.poetic.2019.01.002

(8) King, S. (2010). Danse Macabre. Gallery Books.

(9) Clasen, M., Kjeldgaard-Christiansen, J., & Johnson, J. A. (2020). Horror, personality, and threat simulation: A survey on the psychology of scary media. Evolutionary Behavioral Sciences, 14(3), 213–230. https://doi.org/10.1037/ebs0000152

(10) Hoffner, C. (2009). Affective Responses and Exposure to Frightening Films: The Role of Empathy and Different Types of Content. Communication Research Reports, 26(4), 285–296. https://doi.org/10.1080/08824090903293700


Corrigé par Rosalie Villeneuve et Mélanie Picard

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)