Le numérique à l’école : comment en faire un allié?

Par Josquin Duchaine et Charlotte Fournier

Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à le dire ; l’arrivée du numérique a transformé notre façon d’interagir avec notre environnement. Or, il est justifié de se poser des questions sur les bénéfices ou nuisances de cette transformation, surtout chez la jeunesse. Dans quelles conditions le numérique peut-il être un atout en pratiques éducatives ? En quelles circonstances soutient-il l’apprentissage, ou, au contraire, en quelles circonstances lui nuit-il ?

La recherche en éducation au Québec a à peine plus de soixante ans, mais elle a déjà vu passer de nombreuses transformations sociales majeures, comme l’émergence de l’informatique et des technologies de l’information, ou encore la toute récente pandémie de COVID-19. Ces révolutions de nos mœurs ont culminé sous la forme de l’enseignement à distance, rendant inévitable l’utilisation du numérique. Ainsi, à une époque où la question se pose plus que jamais, quel rôle, du parasite insidieux ou de la mine d’or innovatrice, le numérique joue-t-il sur nos bancs d’école ? Nous nous sommes entretenus avec Stéphane Allaire, professeur régulier en pratiques éducatives et directeur du programme de doctorat en éducation à l’Université du Québec à Chicoutimi, afin de trouver des pistes de réponses à cette question. 

M. Allaire coupe court à ce questionnement binaire. Selon lui, il n’y a pas de réponses simples à l’apport du numérique en éducation. Globalement, les technologies en émergence ne se situent à aucune des extrémités du continuum « merveille-fléau ». Au fond, le numérique n’est qu’un outil de plus à notre arsenal, outil venant avec d’importantes responsabilités. La pertinence d’y avoir recours dans nos pratiques éducatives serait ainsi conditionnelle au principe de « valeur ajoutée » : au-delà de la sophistication de l’outil employé, c’est plutôt lorsqu’il y aurait arrimage entre un besoin identifié en classe et un outil technologique qui y répond spécifiquement que l’outil en question viendrait réellement en soutien à l’apprentissage. Un écran peut tout autant servir à afficher des dessins animés que des images schématiques facilitant l’apprentissage des maths. On comprend ainsi mieux pourquoi il ne peut y avoir de réponse simple à notre question, les bénéfices de la technologie dépendant presque entièrement de leur contexte d’utilisation.

Le professeur de l’UQAC et responsable de l’équipe de recherche FRQSC (qui étudie le partenariat recherche-pratique en éducation) nous a partagé de multiples exemples tirés de sa pratique en recherche participative1. De ceux-ci, on peut ressortir trois principales façons d’utiliser la technologie dans le but d’améliorer l’apprentissage dans le système de l’éducation :

  1. Tout d’abord, le numérique peut venir soutenir l’apprentissage lorsque son potentiel ergonomique est mis à profit. En effet, plusieurs outils technologiques permettent une convivialité dans le processus de réorganisation de l’information que ses alternatives manuscrites ne peuvent égaler. Par exemple, suite à la couverture d’un sujet dans un cours magistral, certains logiciels très simples permettent à l’étudiant de construire une carte conceptuelle, un « réseau de concepts » relatif à la matière abordée, et ce, de manière plus conviviale que s’il avait à sortir papier et crayons pour s’y affairer plusieurs dizaines de minutes durant. Cela permet à l’enseignant.e d’alterner des périodes de cours magistraux et des périodes d’implication active des étudiant.es dans leurs apprentissages, durant lesquelles iels sont actif.ves dans leur traitement de l’information et produisent des « traces intermédiaires », comme les appelle M. Allaire. Celles-ci sont cruciales à l’appropriation et à la rétention de l’information. Il parle alors de la « fonction épistémique » de l’écriture. D’ailleurs, il ajoute à cet effet que l’apprentissage est souvent vu comme un processus de mémorisation, mais qu’en réalité, il s’agit aussi de façon importante d’un processus de réorganisation. Permettre cette réorganisation personnelle et intime à même la classe est un premier avantage concret du numérique, et ce, surtout au secondaire, alors que les cours sont de courte durée et que les attentes quant au travail autonome des élèves hors classe sont encore basses.
  2. Dans un deuxième temps, l’utilisation du numérique en classe aurait aussi cette « valeur ajoutée », évoque Stéphane Allaire, lorsqu’on considère le grand potentiel d’inclusion qu’il peut offrir. Les possibilités d’interaction avec la technologie ne sont limitées que par nos sens et notre imagination. Ainsi, lorsque ces outils sont exploités adéquatement, en classe ou à l’extérieur, ceux-ci offrent à l’enseignement une multimodalité inégalée. Les élèves peuvent alors s’investir dans leur apprentissage avec une très grande diversité. En conséquence, plus d’élèves peuvent être pris en charge et supportés par le système d’éducation si les techniques standard ne conviennent pas à leur rythme ou à leur profil unique. Au niveau universitaire, à l’UQAM par exemple, nous n’avons qu’à penser au fait que ce ne sont souvent pas les mêmes étudiant.es qui seront porté.es à lever la main en classe, que celles et ceux qui utilisent les forums en ligne pour poser leurs questions. Enfin, la participation en classe via des sondages numériques interactifs, voire des jeux-questionnaires (pensons à l’indémodable Kahoot) viennent enrichir la vaste liste d’utilisations avantageuses des technologies à même la classe. Notons d’ailleurs qu’une chaire de recherche de l’UQTR se penche spécifiquement sur cet apport de la multimodalité en pratiques éducatives. 
  3. Finalement, le numérique est un atout lorsqu’il est utilisé pour améliorer l’arrimage école-famille. En effet, la possibilité pour le parent de communiquer virtuellement avec l’enseignant.e, via un courriel ou une plateforme numérique quelconque, s’avère un bon complément à la rencontre de parents classique, tenue une fois par trimestre et qui entraîne les enjeux qu’on lui connaît (deux minutes avec l’enseignant.e à travers une longue file de parents anxieux, lorsque l’on recherche une réelle compréhension des enjeux de son enfant, c’est mieux que rien, mais bon…). Notons pour conclure que le contact numérique peut souvent contribuer à assouplir les barrières culturelles entre parents et enseignant.es (vive la traduction électronique !).
(Illustration par Florence Grenier)

Évidemment, tout n’est pas si rose. La question de l’accessibilité se pose encore et toujours : sommes-nous vraiment au service de la communauté visée, si l’outil que l’on développe crée une inégalité d’opportunité ? En effet, même si l’on estime que 88,2% des foyers québécois ont accès à Internet, la statistique indique par la même occasion que 11,8% de nos concitoyens n’ont pas accès à la ressource2. Tout cela sans mentionner la question de la littératie, qui limite aussi l’universalité de l’apport du numérique dans le contact parents-enseignant.e.s (rappelons qu’en 2016, 53% des Québécois ne dépassaient pas le seuil de littératie !2) Enfin, mentionnons l’effet pervers de la surutilisation des outils qu’il est possible d’observer. Lorsque les moyens y sont, il peut être difficile d’y avoir recours avec parcimonie (pensons au parent qui envoie plusieurs courriels par semaine à un.e prof débordé.e…). 

Bref, ce que nous retenons d’abord de notre échange, c’est que la technologie a bel et bien sa place en éducation, mais pas n’importe comment. M. Allaire réfère au principe d’affordance, soit lorsque l’objet à lui seul suggère à son utilisateur une fonction ou une mode d’utilisation qui se conjugue favorablement avec l’intention pédagogique poursuivie par l’éducateur. Selon lui, la clé d’une « valeur ajoutée » du numérique en pratiques éducatives, c’est de savoir déceler avec davantage de vigilance l’affordance lorsqu’elle se présente, et savoir la surpasser pour offrir des outils polyvalents qui répondent à un réel besoin identifié dans un milieu donné.

D’ici là, plusieurs de nos écoles continueront d’opter pour des insertions malhabiles du numérique en classe, en étant davantage motivées par l’appel du « dernier cri » que par une réelle affordance. L’arrivée subite des tableaux blancs interactifs dans nos centres de services scolaires québécois en est un tristement fameux exemple. Dans les années 2010, plusieurs enseignant.e.s savaient à peine s’en servir, et ils sont souvent devenu.e.s de simples remplacements à la craie sur l’ardoise, sans plus-value. Ce sont des circonstances où nous sommes passés à côté d’une occasion de faire du numérique un réel allié à l’école. Depuis lors, nous avons vu l’irruption massive des tablettes électroniques individuelles en école privée. Tantôt efficaces comme stratégie de recrutement sur la base des apports qu’elle fait miroiter en termes de soutien à l’apprentissage, ces tablettes sont aussi une source de controverse quant à ses potentiels effets nuisibles, dans les institutions mêmes où l’on prône un meilleur accompagnement pour les élèves ayant des besoins particuliers.En conclusion, nous revenons à notre question de départ. Est-ce que plus de ressources rime forcément avec plus de soutien ? Cela dépend des variables modératrices entre la technologie et l’apprentissage, soit son utilisation et sa forme. D’ici à ce que la recherche sache éclairer avec encore plus de précision la question, espérons que celleux qui interviennent de près ou de loin en milieu scolaire sauront prendre leurs responsabilités en ce qui concerne l’apport du numérique à l’école, ou du moins, qu’iels sauront laisser sa juste place à l’ambivalence qui entoure la question. Il y aurait déjà en cela un premier pas vers l’avant, dans un mouvement plus large où l’on se pencherait plus intelligemment sur les phénomènes qui mettent à mal notre éducation québécoise. Car oser se poser les bonnes questions, n’est-ce pas là ce qui ferait tant de bien à notre système scolaire en mal de son agentivité ?


Références

1Nous vous invitons d’ailleurs à consulter notre autre article, Construire la recherche ensemble : une avenue en émergence, qui aborde justement ce domaine passionnant.

2Proportion des ménages branchés à Internet, selon certaines caractéristiques socioéconomiques, Québec, 2021 et 2016. (2017, novembre 21). Statistiques Québec. https://statistique.quebec.ca/fr/document/acces-a-internet/tableau/proportion-des-menages-branches-a-internet-selon-certaines-caracteristiques-socioeconomiques-quebec-2012-et-2016

3Vieira, S. (2021, 14 octobre). Quel est le degré de littératie de votre Région? Le Devoir. https://www.ledevoir.com/societe/640182/quel-est-le-degre-de-litteratie-de-votre-region


Corrigé par Rosalie VilleneuveEmmanuelle Reeves et Émilie Pauzé

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)