Le deuil animalier

Par Vincent Morin

Depuis plusieurs années, on souhaite avoir un acolyte pour nous accompagner dans de multiples aspects de notre vie. Un jour enfin, les circonstances de notre vie sont propices à l’acquisition de cet ami. On décide d’adopter un animal de compagnie au magasin ou au refuge. Quasi instantanément, on s’attache à ces bêtes. Pendant des années, elles nous attendent joyeusement à la maison, toujours prêtes à nous donner des câlins, de l’amour et des moments heureux, nous aidant ainsi à oublier les problèmes passagers qui accablent notre esprit. Plusieurs années passent et on devient inséparables. Néanmoins, on sait qu’un jour, la finitude nous rattrapera et que la mort de notre ami est inévitable. Ces quelques lignes seront un bon point de départ pour celles et ceux qui traversent un deuil animalier ou qui entrevoient éventuellement cette triste fin. 

Devant la lourdeur que peut évoquer une telle thématique, il importe de mentionner que la richesse des moments vécus avec nos animaux est inestimable et que si leur absence paraît sombre, c’est que leur présence était infiniment plus flamboyante. Bien que ce sujet soit dense, ce texte tentera d’en faire un survol en explorant quelques facettes du deuil d’un animal de compagnie. Une visite subjective de la question peut être riche, mais cet article se limitera aux données objectives et scientifiques, afin d’en offrir une vision globale et accessible à tous.

Lien proche avec les animaux

Pour commencer, il est primordial de démontrer l’importance de la relation entre les animaux de compagnie et les humains. Certaines personnes pourraient banaliser ce lien, mais des études ont prouvé que l’attachement à l’animal de compagnie peut être très fort. Une des premières sur le sujet a été menée par Sandra Barker et Randolph Barker en 1988. Ceux-ci ont découvert que la proximité du lien entre un adulte et un chien est équivalente au lien qui unit deux personnes de la même famille. De plus, au sein de la population étudiée (95 adultes), ils ont remarqué que les compagnons animaux aident à de nombreux niveaux. Entre autres, ils ont une influence positive sur le plaisir et le rire, la compassion entre les êtres vivants, l’affection, l’exercice physique et plusieurs autres dimensions importantes. De plus, les chercheurs ont constaté que les répondants avaient un niveau de satisfaction de vie, de bien-être et d’estime personnelle plus élevé que les moyennes populationnelles. Pour diminuer les risques de biais, le recrutement des participants de cette étude a été fait au sein d’un concours canin, de la clientèle d’une clinique vétérinaire et de personnes étudiantes. D’ailleurs, même si les niveaux d’engagement envers le chien étaient variés parmi les répondants, la proximité du lien avec l’animal était comparable.

Pour ce qui est du lien entre les enfants et le chien, les résultats étaient différents. Il semblerait que le lien entre ceux-ci ne soit pas aussi important. Deux hypothèses sont amenées par les auteurs. D’abord, l’égocentrisme inhérent aux enfants expliquerait qu’ils soient moins investis dans la relation. Puis, certains enfants peuvent voir les chiens comme une forme de compétition pour obtenir l’attention parentale.

Le modèle de Kübler-Ross

Lorsque l’on parle de deuil, les cinq stades du deuil représentent une notion incontournable.  Elisabeth Kübler-Ross a écrit On Death and Dying en 1969, et c’est dans cet ouvrage qu’elle met en lumière certains stades que les endeuillés traversent. Rappelons-les en ordre : le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation. Pour l’autrice, le deuil ne représente pas uniquement la mort d’un être proche; il peut être causé par la perte de quelque chose de précieux à soi. Ce peut être un rêve, un emploi, un domicile, une réalité ou, dans le cas de la thématique en cause, un animal de compagnie. 

Il faut rappeler que les stades proposés par Kübler-Ross ne représentent pas une loi absolue. Certains stades n’ont pas toujours lieu et il est possible d’en revivre un à plusieurs reprises. Il est donc impossible de prédire la trajectoire du deuil. Cela dit, cette théorie est utile pour reconnaître et normaliser les différentes étapes que les endeuillés peuvent traverser. De plus, ces stades auraient une fonction adaptative pour traverser l’épreuve du deuil. 

Études auprès des femmes âgées endeuillées

Une étude récente a été menée en 2021 par des chercheurs de l’Université de l’Alberta auprès de femmes qui ont récemment perdu leur animal de compagnie. Plus précisément, la population étudiée était composée de femmes de plus de 55 ans qui vivaient seules et qui avaient perdu leur animal de compagnie après plus de 13 ans de vie commune. Par conséquent, elles étaient plus à risque de développer des symptômes d’un deuil pathologique ou de voir leur santé se détériorer en raison de plusieurs facteurs. L’isolement social, la retraite, la pression financière et l’âge représentaient des facteurs pouvant aggraver l’anxiété, la dépression, l’état de santé et la fonctionnalité de la personne. De plus, ces femmes rapportaient s’isoler encore plus après le deuil de leur animal. Elles mentionnaient qu’elles restaient davantage seules et parlaient de leurs difficultés à peu de gens. Selon les auteurs de l’étude, c’est parce qu’elles vivent un deuil non reconnu. 

Le deuil non reconnu

Le deuil non reconnu est un phénomène social où la perte d’une personne peut être minimisée ou ignorée par les gens qui les entourent, car cette perte n’est pas considérée socialement significative. Il peut se manifester par un manque de soutien social, une banalisation de la détresse ou simplement une ignorance de la souffrance vécue. La perte d’un animal de compagnie peut être une forme de deuil non reconnue, car elle est parfois jugée banale ou bien parce que le lien entre le propriétaire et l’animal n’est pas considéré comme important par l’entourage. Un deuil non reconnu est un facteur de risque au deuil compliqué et persistant (diagnostic dans le DSM-5 où les symptômes, la souffrance et la dysfonctionnalité persistent plus de 12 mois).

Comment faire face au deuil animalier ?

Pour diminuer les impacts négatifs d’un deuil animalier, certaines rites funéraires peuvent être mis en œuvre. Il peut être approprié de visiter tout ce qui est en lien avec la mémoire et les souvenirs que les endeuillés peuvent avoir de leur animal. On peut écrire dans un journal personnel, imprimer et regarder des photos, etc. Si la personne le désire, elle peut même conserver les cendres de son compagnon domestique après la crémation. Bien que ces pratiques puissent sembler banales pour certains, pour d’autres, elles peuvent aider à traverser le deuil. Ces pratiques ne sont pas délétères ou mal vues. Par la suite, des stratégies d’adaptation plus générales peuvent aussi être adoptées. La présence attentive, la méditation et la pratique de l’art peuvent aider à traverser une telle épreuve. Enfin, tout ce qui a trait à de la bonne relation d’aide est adéquat. Selon les préférences de tous, plusieurs ressources sont disponibles, allant de la psychothérapie aux groupes de soutien. 

Depuis quelques années, les difficultés associées au deuil d’un animal de compagnie sont de plus en plus reconnues. Les études sur le sujet se multiplient et la reconnaissance de la problématique est meilleure. Voyant que des employés étaient peu productifs après la perte de leur animal, des entreprises ont même décidé d’accorder des journées de congé payées pour aider à traverser cette épreuve.

La réalité du deuil animalier

La perte d’un animal de compagnie est une épreuve difficile et certains facteurs tels que la proximité avec le compagnon et la non reconnaissance du deuil rendent l’épreuve encore plus ardue. Que cette épreuve vous touche directement ou non, il est normal de traverser plusieurs états émotionnels et il ne faut pas les banaliser ou les éviter. De plus, les effets de ce deuil peuvent être très dommageables chez l’humain, c’est pourquoi il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’aide lorsqu’on croit en avoir besoin. Somme toute, souvenons-nous que même s’ils ne sont plus physiquement avec nous, on offre une continuité à nos compagnons domestiques à travers les souvenirs et l’héritage qu’ils nous ont laissés.


Références

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Barker, S., Randolph B., (1988). The human-canine bond: Closer than family ties? Journal of Mental Health Counseling. 10: pp. 46‑56. https://doi.org/10.1186/s12877-021-02410-8

Brady, Sean. (2021, 29 septembre). Healing Your Brain After Loss: How Grief Rewires the Brain. American Brain Foundation. https://www.americanbrainfoundation.org/how-tragedy-affects-the-brain/

Casabianca, Sandra Silva. (2021, 11 février). Mourning and the 5 Stages of Grief. Psych Central. https://psychcentral.com/lib/the-5-stages-of-loss-and-grief

Thompson, N., Cox, G. R. (2017). Handbook of the sociology of death, grief, and bereavement : a guide to theory and practice (1st ed.). Routledge, 177-190.

Wilson, D., Underwood, L., Carr, E., Gross, D., Kane, M., Miciak, M., Wallace, J., Brown, C. (2021). Older Women’s Experiences of Companion Animal Death: Impacts on Well-Being and Aging-in-Place. BMC Geriatrics, 21(1). https://doi.org/10.1186/s12877-021-02410-8.


Corrigé par Rosalie VilleneuveÉmilie Pauzé et Mélanie Picard

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale de Mariam Ag Bazet (@marapaname)