Nouvel An, nouveau moi

Un billet d’humeur sur les résolutions

Par Mathieu Poliquin

Vous avez sûrement déjà entendu des gens déclarer haut et fort leur résolution du Nouvel An lors d’une soirée. Peut-être vous êtes-vous déjà surpris à en formuler une vous aussi dans la foulée ! Pourquoi sont-elles dénoncées comme étant illusoires ? Et surtout, si elles sont illusoires, pourquoi continuons-nous d’en faire ? Voici ma réflexion sur le phénomène.

Déjà en 1891, dans son roman Le Portrait de Dorian Grey, Oscar Wilde avait une vision cynique des résolutions : « Les bonnes [intentions] sont simplement des chèques qu’on retire d’une banque où l’on ne possède aucun compte » [traduction libre]. C’est un peu l’équivalent d’une personne qui s’adresserait à elle-même un chèque d’un million de dollars. En effet, comme le dit l’expression québécoise, « il faut que les bottines suivent les babines », et une promesse qui se révèle creuse, même faite envers soi-même, peut nous démoraliser et nous faire douter de notre capacité à changer. Norcross et Vangarelli (1989) indiquent que 23% des gens abandonnent leur résolution après une semaine, plus de la moitié après un mois et la proportion d’abandons grimpe à 81% après six mois !

Une question de motivation ?

Un acronyme souvent présenté dans les cours de psychologie est le SMART. Il représente les caractéristiques à considérer pour favoriser l’atteinte d’un objectif. Plus le il est clair, plus il sera facile à concevoir et ainsi à appliquer. Bien sûr, à moins d’être un étudiant en psychologie, on n’est que rarement à son bureau en train d’écrire son plan SMART à minuit moins cinq. Les croyances influencent les buts qu’on se fixe. Si on croit atteignable et réaliste un objectif qui est en vérité beaucoup plus dur qu’on pensait, on risque de l’abandonner ou de le modifier. Mettre la main à la pâte peut dans certains cas exiger plus d’effort qu’on ne le croyait et la manière dont on conçoit ces objectifs ont aussi une influence sur leur accomplissement. Elliot et Church (1997) suggèrent que les objectifs peuvent être de deux types, soit de « de maîtrise » (le désir d’améliorer quelque chose) ou « de performance » (démontrer une capacité). Bien sûr, chercher à démontrer une bonne performance équivaut à se mettre une grande pression sur les épaules et la possibilité d’échec est présente.

 Il me revient également en mémoire la notion en psychologie cognitive qui veut que la motivation soit un peu comme un réservoir à utiliser judicieusement, que l’on nomme « l’égo-déplétion ». C’est une sorte de fatigue, et la fatigue affecte nos prises de décision. Sachant cela, la personne qui souhaite maintenir sa résolution pourrait surveiller ses habitudes et par la suite utiliser ce qu’on appelle des « plans de contingence » ou encore des « implantations d’intention ». Ceux-ci nous permettent de mieux anticiper les moments où l’on rencontrera les obstacles à notre réussite afin de les contrer. Il est plus tentant d’aller au gym si j’arrive à la maison après une épuisante journée de travail et que mon sac de sport m’attend, prêt depuis la veille que si je dois faire mon sac en plus de me motiver à aller au gym (le comble) ! Il s’agit donc d’éliminer les occasions d’abandonner en se facilitant la vie, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’aller au gym, mais plutôt d’y faire la place nécessaire dans sa vie. Répartir ses dépenses d’énergie dans le temps (faire son sac la veille et non après une journée épuisante) serait une manière de rendre son objectif plus facilement atteignable. Le soi du présent rend service au soi du futur. Ces diverses considérations concernant la façon dont on établit ses objectifs et dont on décide de les appliquer au moment de passer à l’action pourraient en partie expliquer la volatilité des souhaits que nous avons tendance à former. Finalement, suivre sa résolution est peut-être plus compliqué qu’on ne l’avait imaginé sous les confettis !

C’est le début d’un temps « nouveau »

Sachant la difficulté que peut représenter l’accomplissement de sa résolution, pourquoi continuons-nous à en formuler ? En fait, selon moi, cela a en grande partie à voir avec le contexte culturel. Si vous avez lu le titre de cette section en chantonnant, c’est que vous avez été influencé par votre culture. Il en va de même pour la signification du Nouvel An qui est un symbole. Rappelons-nous que les sociétés n’utilisent pas toutes le même calendrier et n’ont pas toutes une vision linéaire du passage du temps. Il n’en demeure pas moins l’occasion de tourner une page pour se mettre à en écrire une nouvelle. Les premiers instants du premier jour fournissent le parfait moment de contemplation d’un futur encore vierge. À en croire Oscar Wilde, la critique que nous faisons de nos résolutions ne date pas d’hier. Il s’agit donc bien d’une tradition qui persiste. La prise de résolution a tout de même quelque chose de beau en soi. À mon avis, il est plaisant de penser qu’il s’agit peut-être du seul moment où nous prenons tous en même temps pleinement conscience de l’instant présent. Le plus grand rassemblement méditatif arriverait-il chaque année au Nouvel An ? C’est peut-être justement pour cet aspect méditatif que la tradition persiste malgré nos échecs répétés !

Un vent d’optimisme ?

Les premières secondes de la nouvelle année pour nous donner l’impression magique que nous sommes témoins d’un changement qui s’opère devant soi. Or, celui-ci s’opère aussi à l’intérieur de soi. À la manière d’un bilan, on évalue nos réalisations, la satisfaction que l’on a de notre vie et on projette sa trajectoire. On se permet enfin de rêver, d’imaginer. Les possibilités deviennent infinies et le futur rempli de promesses. Ce chevauchement entre réalité et imaginaire constitue l’essentiel de la critique que la littérature scientifique fait des résolutions du Nouvel An : nous mélangeons tout. Rêves et bilans de vie se juxtaposent pour donner lieu à des résolutions irréalistes et vagues dont on ne suit plus l’évolution par la suite, en plus d’être prises dans un contexte de fête souvent bien arrosé.

Pourtant, je vois les résolutions du Nouvel An comme une belle tradition. J’aime qu’elles soient inscrites dans la vision d’un renouveau. Le Nouvel An est un moment unique et les résolutions, même en connaissant les statistiques, ajoutent à la magie et nous encouragent, au moins un instant, à l’optimisme. Les résolutions sont en réalité la verbalisation d’un souhait au regard de sa propre vie et c’est cela qui est à chérir. Pour moi, il n’y a rien de plus plaisant que d’entendre chacun se permettre de rêver et de consacrer un souhait à lui-même. Si seulement nous pouvions nous souvenir que chaque jour constitue en vérité le premier de tous ceux à venir et qu’on peut faire son bilan et prendre de nouvelles résolutions toute l’année durant. Que vous réussissiez à accomplir ou non votre résolution cette année, vous pourrez vous féliciter d’avoir eu le courage de souhaiter mieux pour vous-même.


Pour aller plus loin…

Basil MD, Basil DZ, Schooler C. Cigarette advertising to counter New Year’s resolutions. J Health Commun. Avr–juin 2000, 5(2):161-74. https://doi.org/10.1080/108107300406875

Joanne, M. D., Nicholas, J. M., David, P., Alyson, D., & Christopher, D. H. (n.a.). Self-regulatory goal motivational processes in sustained new year resolution pursuit and mental wellbeing. International Journal of Environmental Research and Public Health18(3084), 3084–3084. https://doi.org/10.3390/ijerph18063084

Rössner SM, Hansen JV, Rössner S. New Year’s resolutions to lose weight–dreams and reality. Obes Facts. Fév 2011, 4(1):3-5. https://doi.org/10.1159/000324861 

Et une chanson!

(Claude, 1970)


Références

A. J. Elliot, M. A. Church (1997). A hierarchical model of approach and avoidance achievement motivation. Journal of Personality and Social Psychology, 72(1), 218–232. https://doi.org/10.1037/0022-3514.72.1.218

J. C. Norcross, D. J. Vangarelli (1989) The resolution solution: Longitudinal examination of New Year’s change attempts, Journal of Substance Abuse, Volume 1, Vol. 2, 1988, Pages 127-134, ISSN 0899-3289, https://doi.org/10.1016/S0899-3289(88)80016-6

Claude, R. (1970). Le début d’un temps nouveau [Chanson]. Dans Le début d’un temps nouveau. Disques Barclay. https://www.youtube.com/watch?v=_OguWUIJue4


Corrigé par Émilie Pauzé, Rosalie Villeneuve et Emmanuelle Reeves

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)