Par Olga Fliaguine
La crise climatique n’a pas seulement un impact sur l’environnement et la santé physique des individus; il s’agit également d’un enjeu important de santé mentale. Devant la multiplication des rapports scientifiques dénonçant la gravité de la situation, et la vitesse avec laquelle les informations circulent dans un monde globalisé, un nombre toujours croissant de personnes rapporte ressentir les impacts de la crise climatique sur leur bien-être psychologique au quotidien (Ágoston et al., 2022). Au Québec, une récente étude a montré qu’environ 49% des jeunes adultes de 18 à 24 ans ont ressenti au moins une manifestation d’écoanxiété dans les deux dernières semaines (Landaverde & Généreux, 2021).
L’écoanxiété et ses effets
L’écoanxiété est un sujet de plus en plus populaire dans la littérature scientifique et dans les médias même s’il s’agit d’un concept encore mal défini. En effet, des termes différents sont utilisés pour décrire le sentiment d’écoanxiété, et les émotions négatives reliées, telles que l’inquiétude, la peur ou encore la culpabilité, sont souvent mal distinguées (Coffey et al., 2021). Cependant, le principal problème réside dans la perception de l’écoanxiété comme étant un état « anormal » qui doit être traité, alors même que les cas pathologiques sont rares. Or, l’objectif même de l’anxiété est de rendre l’individu alerte lors d’un danger présent ou futur. Dans ce sens, l’écoanxiété n’est qu’une réaction normale au regard de la gravité de la crise climatique. De plus, elle mène souvent l’individu à agir et à adopter des valeurs et comportements pro-environnementaux. Ainsi, il s’agit d’une anxiété « pratique », c’est-à-dire un état inconfortable résultant d’émotions négatives, qui va inciter la personne à émettre une réponse constructive et à passer à l’action (Kurth & Pihkala, 2022).
Cependant, même si les inquiétudes quant à la crise climatique sont légitimes, elles peuvent mener à des cas sévères d’anxiété et de détresse qui peuvent nécessiter une prise en charge thérapeutique. Certains individus peuvent ressentir une écoanxiété dite existentielle en prenant conscience de la potentielle fin de l’humanité, de la destruction de l’environnement et des autres espèces, et de l’héritage qui va être laissé aux générations futures. Cette conscience peut entraîner des préoccupations quant à la mort, au sens de l’existence, ainsi qu’un sentiment de culpabilité (Budziszewska & Jonsson, 2021). Dans ces cas-là, plutôt que d’être poussée à l’action, la personne sera au contraire paralysée et aura des réactions de déni quant aux changements climatiques (Verplanken et al., 2020).
Une inégalité vis-à-vis de l’écoanxiété
Plusieurs études suggèrent que les jeunes, les femmes, les populations indigènes, les personnes qui s’identifient comme étant proches de la nature, et les personnes souffrant déjà de troubles mentaux semblent être davantage susceptibles de vivre de l’écoanxiété à un degré plus élevé. Il en est de même pour les personnes ayant été exposées directement aux effets de la crise climatique ayant vécu, par exemple, des épisodes graves de sécheresse ou d’inondation (Coffey et al., 2021). Néanmoins, chaque individu va percevoir la crise climatique différemment et vivra donc de l’écoanxiété à un degré différent également. Des études suggèrent l’impact de la culture et du gouvernement : l’écoanxiété ressentie par les individus dépend de la manière avec laquelle la société cherche ou non à résoudre le problème. Ainsi, les interventions pour protéger la santé mentale des individus risquent d’être moins efficaces en l’absence d’engagement concret pour la cause environnementale au point de vue sociétal et global (Clayton, 2020).
Les pistes de solutions et les actions nécessaires
Plusieurs auteurs ont suggéré une relation entre l’écoanxiété et l’espoir; ainsi il est possible d’encourager les personnes à utiliser leur anxiété pour agir et par le fait même cultiver des sentiments d’espoir, d’efficacité et de sens de la vie (Sangervo et al., 2022). D’autres stratégies reposent sur le développement de la croyance en sa propre capacité de résilience, de coping et d’autorégulation. Maintenir des activités qui donnent un sens à la vie, ou encore favoriser les connexions avec la famille, la culture et la communauté peut également être de mise (Clayton et al., 2017). Enfin, agir en communauté permettrait de cultiver un sentiment d’appartenance et d’efficacité collective qui peuvent renforcer la résilience et l’engagement envers les enjeux environnementaux (Clayton & Karazsia, 2020).
Il est donc indispensable de reconnaître que l’écoanxiété n’est pas nécessairement un trouble qui doit être traité, mais plutôt une inquiétude justifiée qui peut être recrutée pour inciter les humains à agir individuellement et collectivement pour faire face à la crise climatique (Hayes et al., 2018). Cependant, il est important de ne pas mettre la responsabilité de la lutte contre les changements climatiques et de l’écoanxiété vécue sur l’individu. En effet, chercher simplement à améliorer la résilience individuelle par des politiques ou de l’aide psychologique ne fait que gérer les symptômes sans agir sur les causes sociales responsables de l’écoanxiété; cela permet aux pays de maintenir le statu quo basé sur la croissance économique et la compétition (Kałwak & Weihgold, 2022). Il y a donc un besoin criant d’actions transformatrices au niveau politique et collectif (Budziszewska & Jonsson, 2021).
Références
Ágoston, C., Urbán, R., Nagy, B., Csaba, B., Kőváry, Z., Kovács, K., Varga, A., Dúll, A., Mónus, F., Shaw, C. A., & Demetrovics, Z. (2022). The psychological consequences of the ecological crisis: Three new questionnaires to assess eco-anxiety, eco-guilt, and ecological grief. Climate Risk Management, 37, 100441. https://doi.org/10.1016/j.crm.2022.100441
Budziszewska, M., & Jonsson, S. E. (2021). From Climate Anxiety to Climate Action: An Existential Perspective on Climate Change Concerns Within Psychotherapy. Journal of Humanistic Psychology, 002216782199324. https://doi.org/10.1177/0022167821993243
Clayton, S. (2020). Climate anxiety: Psychological responses to climate change. Journal of Anxiety Disorders, 74, 102263. https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2020.102263
Clayton, S., & Karazsia, B. T. (2020). Development and validation of a measure of climate change anxiety. Journal of Environmental Psychology, 69, 101434. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2020.101434
Clayton, S., Manning, C., Krygsman, K., & Speiser, M. (2017). Mental Health and Our Changing Climate: Impacts, Implications, and Guidance: (503122017-001) [Data set]. American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/e503122017-001
Coffey, Y., Bhullar, N., Durkin, J., Islam, M. S., & Usher, K. (2021). Understanding Eco-anxiety: A Systematic Scoping Review of Current Literature and Identified Knowledge Gaps. The Journal of Climate Change and Health, 3, 100047. https://doi.org/10.1016/j.joclim.2021.100047
Hayes, K., Blashki, G., Wiseman, J., Burke, S., & Reifels, L. (2018). Climate change and mental health: Risks, impacts and priority actions. International Journal of Mental Health Systems, 12(1), 28. https://doi.org/10.1186/s13033-018-0210-6
Kałwak, W., & Weihgold, V. (2022). The Relationality of Ecological Emotions: An Interdisciplinary Critique of Individual Resilience as Psychology’s Response to the Climate Crisis. Frontiers in Psychology, 13, 823620. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2022.823620
Kurth, C., & Pihkala, P. (2022). Eco-anxiety: What it is and why it matters. Frontiers in Psychology, 13, 981814. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2022.981814
Landaverde, E., & Généreux, M. (2021). IMPACTS PSYCHOSOCIAUX DE LA PANDÉMIE DE COVID-19: RÉSULTATS D’UNE LARGE ENQUÊTE QUÉBÉCOISE. https://ccnmi.ca/wp-content/uploads/sites/3/2021/07/Quebec-Survey-report-June-25-2021-RAPPORT_25-06-2021.pdf
Sangervo, J., Jylhä, K. M., & Pihkala, P. (2022). Climate anxiety: Conceptual considerations, and connections with climate hope and action. Global Environmental Change, 76, 102569. https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2022.102569
Verplanken, B., Marks, E., & Dobromir, A. I. (2020). On the nature of eco-anxiety: How constructive or unconstructive is habitual worry about global warming? Journal of Environmental Psychology, 72, 101528. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2020.101528
Corrigé par Anne Parenteau, Rosalie Villeneuve et Mélanie Picard
Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier
Illustration originale de Mariam Ag Bazet (@marapaname)