L’herméneutique comme trajectoire éthique en psychologie

Par Charlene Allaire


Ce texte fut d’abord rédigé dans le cadre du cours Atelier d’observation en psychologie humaniste de l’UQÀM (PSY4902), puis édité pour le Psy-curieux.


L’herméneutique occupe une place importante en psychologie. Donna Orange (2011) en parle comme d’une trajectoire éthique utile à tous les professionnels du milieu. Cette science se veut interprétative et a été conçue pour interpréter l’art et les dialogues. Elle est composée de deux grandes écoles de pensées : l’herméneutique du soupçon et l’herméneutique de la confiance.

La première, l’herméneutique du soupçon, s’ancre majoritairement dans les écrits du français Paul Ricœur. Ce dernier entrevoyait l’herméneutique comme composée de deux problématiques majeures. La première se trouvant dans la juste compréhension du message de l’auteur. Il dit l’espace interprétatif entre le texte et le lecteur conjectural puisque celui-ci nous éloigne de l’intention de l’auteur (Ricoeur, 1972). Ce qu’il définit comme « intention » est ce que l’artiste souhaite partager à son auditoire. Selon lui, les textes et les discours devraient parler d’eux-mêmes et nous, lecteurs et auditeurs, devrions savoir bien écouter. Il conçoit la deuxième problématique dans l’opposition interprétation-explication. Autrement dit, à ses yeux, ces concepts ne vont pas de pair, puisque les connotations subjectives vont à l’opposé de l’objectivité des explications scientifiques (1972). L’herméneutique du soupçon est donc conçue comme un outil de décodage (Josselson, 2004) qui servirait à déjouer ces deux problématiques. Ici, le sens du texte ou du dialogue serait a priori et l’herméneute devrait le trouver. Du point de vue de la recherche, cela signifierait traiter l’interprétation des textes et des dialogues comme une science pure, c’est-à-dire qu’il n’y aurait qu’une seule vérité, qu’un seul message serait juste, et que les chercheurs se lanceraient dans une quête d’analyse et de démystification de ce dernier. En clinique, le psychologue qui pratique l’herméneutique du soupçon devrait douter des propos de son client pour satisfaire sa quête de sens. Si ce sens est déjà établi et caché, il est de son devoir de professionnel de le trouver. Il devrait juger de la pertinence d’un tel ou tel sujet, ainsi que le temps passé à en discuter. Il est facile d’imaginer qu’un clinicien abordant cette philosophie est un expert devant un patient. Ce dernier serait dépendant du professionnel pour créer du changement. Le clinicien poserait sans doute beaucoup de questions avec méfiance, fouillerait le discours du client, analyserait chacun de ses mots pour y trouver une vérité absolue. Cette technique installe beaucoup de distance et d’opposition entre le professionnel et le client puisqu’elle instaure une relation verticale. Donna Orange (2011), philosophe et psychologue clinicienne s’étant profondément intéressée à l’herméneutique, parle de toute une génération de psychanalystes qui auraient opéré dans cet esprit puisque Freud a, en quelque sorte, conçu la thérapie dans cette mentalité. À cette époque, le psychologue devait être le plus silencieux possible en ne se projetant pas dans l’espace et en étant presque invisible. Il devait porter attention aux rêves, aux lapsus et aux processus inconscients qui pouvaient remonter dans le langage. Dans cette approche, il y avait peu d’empathie, de relation thérapeutique ou de chaleur humaine (Orange, 2011).

C’est pourquoi l’herméneutique de la confiance inspirée des travaux de Gadamer fut une bouffée d’air frais pour tant de psychologues à la recherche d’alternatives plus humaines. Gadamer s’inscrit dans une philosophie plutôt opposée à Ricoeur. Pour lui, la vérité se trouverait plutôt dans un savoir authentique auquel nous aurions accès grâce à une « éthique dialectique » (Gadamer dans Pageau St- Hilaire, 2015). Cette éthique est simple à comprendre, Pageau St-Hilaire (2015) la résume à un discours authentique et égalitaire. Ici, notre quête de la vérité est tout autre : elle n’est plus a priori, mais bien dans la présence à autrui. Elle se fonde sur un être ensemble où les membres qui habitent le dialogue sont sincères et fidèles à eux-mêmes. Les participants doivent aussi habiter l’espace sur un pied d’égalité. Concrètement, ils ne doivent pas ouvrir le dialogue avec un a priori de vérité ou une fermeture quelconque. L’herméneute doit être ouvert à avoir tort et il doit savoir questionner son propre raisonnement. Ici, la recherche se veut commune et ne peut avoir lieu si les conditions d’authenticité et d’égalité ne sont pas remplies (Pageau St-Hilaire, 2015).

Il est facile de comprendre pourquoi Orange conçoit l’herméneutique de la confiance telle « une trajectoire éthique choisie et suivie par le psychologue lors de son travail clinique » (Traduction libre, 2011). Avec cette technique, le psychologue garde cette posture d’interprétation du dialogue, mais cette fois, chaque expérience est singulière et juste. En d’autres mots, il laisse tomber la quête de la vérité cachée pour accueillir son client avec confiance. Confiance que ce qu’il dit est subjectivement vrai et que ce simple constat est suffisant. Confiance que le client désire ce qu’il y a de mieux pour lui-même et qu’il sera capable de s’actualiser. Finalement, confiance que chacun tente de communiquer au meilleur de leurs aptitudes leur vérité et leur savoir (Orange, 2011). Le professionnel ne se pose plus en expert, mais bien comme un humain en présence d’un autre. Aussi, dans cette philosophie clinique, le psychologue habite l’espace, c’est ainsi dire qu’il parle, réagit, interagit. Le client ne se retrouve plus face à un miroir, mais bien bercé dans une dynamique relationnelle qui se voudra réparatrice. Cela ne veut pas dire que les silences sont condamnés, bien au contraire, mais l’attitude du professionnel se veut plus réceptive et chaleureuse (Orange, 2011). Les questions aussi demeurent, mais leurs intentions changent. Ici, le questionnement cherche une meilleure compréhension de l’Autre, de son vécu et de sa propre interprétation. Nous pouvons dire que le travail de recherche se fait dorénavant en partenariat avec le client. Orange (2011) parle aussi d’une variable de temps. Toutes ces questions que le praticien de l’herméneutique du soupçon souhaiterait poser, il le pourra, mais plus tard, lorsque le lien de confiance sera établi entre les deux personnes (Orange, 2011). Le but étant que ces questions n’amènent pas le client à devoir se justifier ou à se défendre, mais bien qu’il puisse se questionner lui aussi dans un environnement sécurisant où le changement est possible. Il est donc clair que pour que la confiance règne dans cette relation, le jugement doit rester à la porte puisqu’il est une forme d’a priori de la vérité.

Finalement, l’herméneutique de la confiance est à mon avis une trajectoire éthique juste et hautement importante contrairement à celle du soupçon. Naturellement causés par les rouages de notre société, nous sommes constamment jugés. À l’école, au travail, par nos pairs et par nous-mêmes, nos moindres faits et gestes sont analysés pour y trouver les failles. Ce simple fait est un poids très lourd à porter. Offrir un espace où ce mécanisme vicieux peut se mettre en pause est en soi un grand apport thérapeutique.


Références

Josselon, R. (2004). The hermeneutics of faith and the hermeneutics of suspicion. Narrative Inquiry, Vol. 14 (1), p.1-28.

M. Orange, D. (2011). The Suffering Stranger : Hermeneutics for Everyday Clinical Practice. Routledge.

Pageau St-Hilaire, A. (2015, mai). L’aristolisation gadamérienne de Platon et la fondation éthique d’une herméneutique de la confiance. Colloque de la Société de philosophie du Québec, Rimouski, Québec.

Ricoeur, P. (1972). La métaphore et le problème central de l’herméneutique. Revue philosophique de Louvain, Vol. 70 (5), p.93-112.

Thiboutot, C. (2013, août). Kieslowski, la fiction et la recherche en sciences humaines. International Human Science Research Conference, Aalborg, Danemark.


Corrigé par Florence Ferland et Émilie Pauzé

Révisé par Ariane Chouinard et Florence Grenier

Illustration originale de Mariam Ag Bazet (@marapaname)

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