La communication à l’ère des médias sociaux: où est l’empathie?

Par Vincent Gosselin-Boucher, Juliette François-Sévigny et Brigitte Voisard.

Depuis notre entrée dans l’ère pandémique, plusieurs études ont soulevé un paradoxe : nous vivons dans une société étant virtuellement plus connectée que jamais grâce à l’ubiquité de la technologie, mais socialement déconnectée (Clark, Algoe, & Green, 2018). Outre les effets délétères de la COVID-19 sur l’économie et le marché du travail, la santé mentale de la population mondiale s’est aussi vue altérée. En effet, alors que 16% des individus se sentent plus seuls, 30% vivent plus d’anxiété et 17% présentent plus de symptômes dépressifs (Lavoie & Boucher, 2020). Être à l’écoute des autres dans ce contexte extraordinaire est très important. Toutefois, avons-nous toujours cette capacité empathique ?

Bien avant les confinements qu’a obligés la pandémie, les modes de communication évoluaient vers une distanciation physique de plus en plus importante. Si les outils technologiques à notre disposition semblent faciliter les interactions que nous entretenons avec autrui, la crise de la COVID-19 exacerbe toutefois leurs lacunes en montrant qu’ils ne parviennent pas toujours à abolir la distance entre nous (Stuart, O’Donnell, O’Donnell, Scott, & Barber, 2021). Le temps serait-il venu de se sortir la tête du sable, ou plutôt des réseaux sociaux, et de réaliser que nous avons un problème collectif de communication, mais surtout d’empathie?

« L’humanité vit un déficit d’empathie », affirmait l’ancien président américain, Barack Obama, il y a près de 16 ans, en ajoutant qu’il s’agissait d’un véritable enjeu sociétal (Honigsbaum, 2013). Le terme « empathie » est utilisé dans plusieurs contextes, tant pour décrire un ami qui est attentionné que lors du respect des consignes sanitaires depuis le début de la pandémie de la COVID-19 (Pfattheicher et al., 2020). Certes, il convient de noter que l’empathie est un phénomène complexe (Yu & Kirk, 2008). Il est tantôt décrit comme un trait de personnalité, tantôt comme un processus de communication, ou une compétence, et parfois même comme un état professionnel (Kunyk & Olson, 2001). 

Depuis sa première apparition dans la littérature en 1908 (Lanzoni, 2018), plusieurs études ont tenté d’établir une définition de l’empathie (Cuff, Brown, Taylor, & Howat, 2016; Hall & Schwartz, 2019; Pedersen, 2009; Teding van Berkhout & Malouff, 2016). L’empathie peut être définie comme une réponse émotionnelle dépendant de notre état et de nos traits personnels qui provient de notre interprétation de l’émotion vécue par une autre personne. En d’autres mots, l’empathie ou l’expression de l’empathie changera selon s’il s’agit d’une interaction entretenue avec sa mère ou avec un.e collègue de travail. 

​Plusieurs concepts s’apparentent à l’empathie. Il est important de les distinguer puisqu’ils sont souvent utilisés de manière interchangeable. D’abord, lorsqu’il est question de compathie, il s’agit d’une situation où les sentiments sont partagés en raison de circonstances communes. Par exemple, vous vivez une peine d’amour et votre ami.e, qui vient également de se séparer, vous mentionne qu’iel comprend ce que vous vivez. Puis, la sympathie se trouve à être une réaction intentionnelle vis-à-vis une situation émotionnelle, où l’on veut le bien de l’autre (Cuff et al., 2016). Cela peut impliquer qu’un.e autre de vos amis vous dise qu’iel éprouve du chagrin pour vous tout en versant une larme. Ces concepts diffèrent de l’empathie quant à leur degré de représentation cognitive de l’état émotionnel, à leur niveau de partage des émotions et à leur éventuel maintien d’une distinction entre soi et autrui (Ickes, 2003). À cet effet, mentionnons qu’un.e ami.e ayant une réaction empathique à votre égard pourrait vous dire qu’il est capable de s’imaginer la peine que vous pouvez ressentir depuis votre séparation.

Empathie et réseaux sociaux : qu’est-ce que la recherche en dit

La communication en face à face permet rarement un moment de réflexion ou de prise de recul, puisqu’elle implique immédiatement des réactions verbales et non verbales (Carrier, Spradlin, Bunce, & Rosen, 2015). L’empathie, quant à elle, s’exprime comme un style de communication où l’auditeur.trice reformule verbalement l’émotion vécue par son interlocuteur.trice tout en ayant une posture d’écoute et d’ouverture à l’autre. Cela peut sembler aux antipodes des communications sur les médias sociaux, où les émotions vécues sont habituellement transmises à l’écrit sans repères auditifs ou visuels (Cares, Hirschel, & Williams, 2014). Il est donc possible de dire qu’une distance se crée dans cette connexion virtuelle pouvant atténuer le besoin d’une réelle interaction avec l’autre, et donc les opportunités de développer cette empathie (Dolby, 2014).

Néanmoins, la recherche sur les médias sociaux est plutôt mitigée quant à leur effet sur les comportements moraux et sur les relations sociales (Blakemore et Agllias, 2020). D’un côté, certaines recherches soulèvent qu’en plus de favoriser de hauts niveaux de narcissisme, les médias sociaux encourageraient la désinhibition tant collective qu’individuelle (Blakemore et Agllias, 2020). Plusieurs individus disent et font des choses sur les réseaux sociaux qu’ils ne feraient habituellement pas dans le mode matériel (Suler et Allouche, 2012). En effet, bien que, cette année, des centaines de personnes se sont permis d’insulter les candidats d’occupation double en dessous de leurs publications Instagram, il est fort à parier que ces mêmes personnes se seraient moindrement retenues dans le monde réel. Ainsi, le cyberespace permet l’adoption d’une position confortable où notre caractère moral et éthique peuvent facilement être mis de côté. 

D’un autre côté, certaines recherches indiquent que les médias sociaux favorisent les réponses empathiques en raison de la facilité et de la fréquence d’accès aux appareils mobiles (Carrier et al., 2015; Oh et Syn, 2015). Sans compter qu’il est possible d’observer plusieurs comportements empathiques d’individus au sein de groupes de soutien en ligne (Carrier et al., 2015). Il n’y a qu’à penser aux réseaux des survivants du cancer. Par ailleurs, les étudiants ayant vécu un deuil soulèvent qu’en partageant cette épreuve sur les médias sociaux, le nombre de condoléances reçues s’était amplifié pouvant refléter l’empathie de leur réseau virtuel (Wandel, 2009). 

Bien que l’utilisation que l’on fait des réseaux sociaux puisse influencer positivement ou négativement nos réponses empathiques, le constat reste le même : le déclin de l’empathie se poursuit (Blakemore et Agllias, 2020). Il est temps de s’arrêter un moment et de réfléchir à notre empathie et aux autres afin de répondre par un changement de comportement individuel et ainsi parvenir à un avenir collectif meilleur. Bien qu’elle soit coûteuse cognitivement, l’empathie peut être travaillée en vue de favoriser son développement (Cameron et al., 2019; Dohrenwend, 2018). Par exemple, l’introspection et l’écriture réflexive permettent de se redécouvrir un instant et d’ouvrir ainsi à notre être et à notre agir nos capacités empathiques. Ici, il n’est pas question de manquer de temps afin de tenter l’expérience, mais bien de prendre le temps et d’évoluer vers une ère de reconnexion à soi et aux autres. 

Pourquoi ne pas retourner à la simple connexion humaine?


Auteur : Vincent Gosselin Boucher

PhD, Stagiaire postdoctoral, University of British Columbia. Sa thèse porte sur le développement d’un outil en ligne d’évaluation de la communication chez les médecins. La communication scientifique est omniprésente dans ces implications auprès de Sciences 101, la section Psychologie de la santé et médecine du comportement de la SCP et “Vérité ou Quoi”.

Collaboratrice : Brigitte Voisard

Candidate au doctorat en psychologie, UQAM ; Centre de Médecine Comportementale de Montréal. Sa thèse porte sur la communication entre les professionnels de la santé et leur patient. Par ailleurs diplômée en création littéraire, c’est par la lecture, le cinéma et la nature qu’elle fait le plein d’énergie.

Collaboratrice : Juliette François-Sévigny

Étudiante au doctorat en psychologie. Sa thèse porte sur le stress des parents d’enfants doués et TDAH. Elle se passionne pour la communication scientifique l’amenant à s’impliquer dans diverses initiatives étudiantes dont Sciences 101 et « Vérité ou Quoi ».

Illustrateur : Osama Jeljeli

Designer franco -tunisien Osama Jeljeli est venu au Canada à la suite de l’obtention de son Diplôme national supérieur d’expression plastique à la Haute école des arts du Rhin (Strasbourg — France) mention didactique visuelle (la pédagogie par l’image). Intéressé en tout temps à la clarification de l’actualité, il applique à l’aide d’outils graphiques, une envie de vulgariser les sujets contemporains. Crise migratoire, rôle des comics dans la communauté LGBTQ+ ou usage de la drogue, il n’hésite pas à exposer ses recherches plastiques au moyen d’informations référencées. Il souhaite faire appel à la réflexion pour éveiller les débats sur les maux de la société.

Corrigé par Thomas Tisserand, Camille Lavoie et Camille Guimond.

Révisé par Shawn Manuel et Thomas Girard-Pelletier.