La thérapie par l’aventure auprès des jeunes adultes psychotiques

Entrevue avec Camille Girard, doctorante en psychologie à l’UQÀM.

Par Thomas Tisserand

Je voudrais d’abord remercier Camille Girard de m’avoir accordé cette entrevue.

L’entrevue porte principalement sur la thèse que soutient actuellement Camille Girard au doctorat sur la thérapie par l’aventure auprès des jeunes adultes ayant vécu un épisode psychotique. Avant tout, penchons-nous brièvement sur cette méthode innovatrice et à contre-courant qu’est la thérapie par l’aventure.

        Développée au début du XXe siècle au Manhattan Psychiatric State Hospital de New York, la thérapie par l’aventure met à profit la nature et l’aventure en vue de permettre aux participants de développer leur capacité d’adaptation via une immersion dans un milieu où il leur faudra adopter de nouveaux comportements et de nouvelles attitudes. Pour ce faire, certaines conditions sont de mise, notamment la sincère volonté de partager des expériences nouvelles, de relever des défis impliquant certains risques et d’être engagé dans des situations favorisant le plaisir et la découverte. Autrement dit, on invite les individus à sortir de leur zone de confort.

        La thèse de Camille Girard est réalisée sous la direction du professeur J. Éric Dubé et la codirection de Clairélaine Ouellet-Plamondon, psychiatre à la Clinique jeunes adultes psychotiques du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Les activités ont été organisées par l’organisme Face aux Vents, spécialisé en thérapie par l’aventure. L’étude porte sur un groupe de 15 participants âgés de 19 à 30 ans et ayant vécu un épisode psychotique. Il s’agit d’une recherche qualitative s’intéressant à l’expérience des participants au programme de thérapie par l’aventure en lien avec leur processus de rétablissement.

À présent, place à l’entrevue que Camille Girard nous a accordée :

T. T. Pourquoi avez-vous décidé initialement de travailler auprès des jeunes adultes ayant vécu un épisode psychotique ?

C.G. Je dirais que c’est en partie parce que le projet existait, donc c’était plus facile pour nous de se joindre à eux, mais c’est aussi un intérêt que j’avais déjà au niveau personnel et professionnel.

T. T. Bien que la thérapie par l’aventure ne s’inscrive pas de prime abord dans une perspective psychodynamique, c’est tout de même dans cette section que vous effectuez votre recherche. Comment ce genre de thérapie s’articule-t-il dans un cadre psychodynamique ?

C.G. C’est une bonne question, parce qu’en réalité, le projet en soi et le type d’interventions effectuées n’étaient pas nécessairement d’orientation psychodynamique. C’est plutôt la lunette et ma perspective que j’ai amenées dans ma thèse qui étaient psychodynamiques. Cela m’a permis de comprendre et de percevoir cette modalité d’intervention comme une médiation thérapeutique au sens que l’entend, par exemple, René Roussillon, psychanalyste et psychologue français. Il faut comprendre l’aventure comme étant une médiation au même titre que l’utilisation thérapeutique du théâtre, de la danse, de l’art en général. Et toute ma compréhension de la psychose part d’un point de vue psychodynamique, mais, en soi, la thérapie par l’aventure et les interventions faites lors de notre projet ne s’inscrivaient pas dans une démarche psychodynamique.

T. T. Doit-on considérer la thérapie par l’aventure comme un processus thérapeutique indépendant ou doit-on plutôt la considérer comme un complément à une approche clinique plus traditionnelle ?

C. G. C’est aussi une très bonne question. En fait, il y a plusieurs choses qui se font dans le domaine présentement. Il y a autant des traitements, surtout aux États-Unis, où des jeunes avec des problèmes de consommation vont faire de très longs séjours dans la nature, par exemple, et ces traitements peuvent être considérés indépendants d’un suivi clinique, mais d’autres modalités, comme celle qu’on a fait, sont davantage un complément à une autre forme de thérapie. Il existe d’autres projets en Norvège qui l’utilisent aussi comme un traitement en soi qui s’étale plus sur le long terme. Ça dépend vraiment de la manière dont est pensé le programme.

T.T. Dans votre recherche, les participants étaient tous de jeunes adultes n’ayant vécu qu’un épisode psychotique, mais croyez-vous que la thérapie par l’aventure pourrait être bénéfique auprès d’une clientèle de personnes psychotiques qui n’en sont pas à leur premier épisode ?

C.G. En fait, c’est surtout au niveau de la sécurité que cela pourrait poser problème. Mais dans notre étude, il y avait quand même des participants assez affectés par la psychose qui présentaient des symptômes positifs comme du délire ou des hallucinations, à condition que cela ne nuise pas à leur sécurité. Je pense donc que oui, la thérapie par l’aventure peut fonctionner avec des gens qui sont plus affectés par la psychose, pourvu que le cadre demeure sécuritaire.

T. T. Face aux résultats que vous avez obtenus, qui montrent que les acquis des participants ne tendent seulement qu’à se maintenir durant un court laps de temps après l’aventure, doit-on envisager de recourir à la thérapie par l’aventure de manière davantage périodique ?

C.G. Pour l’instant, je dois répondre qu’on n’en sait pas assez. Les entrevues que j’ai conduites se sont déroulées à leur retour de l’aventure et six mois plus tard. Je n’ai donc aucune idée de ce qui se passe après six mois, s’ils ont conservé ou non les acquis. Il manque donc de données quant aux effets à long terme. C’est sûr que la reconduction de l’expérience d’aventure dans le but de consolider les acquis serait bénéfique pour les participants.

T.T. Selon vos observations, quels éléments ont été les plus importants pour les participants lors de leur séjour? Qu’est-ce qui leur a apporté, de manière générale, le plus de bienfaits ?

C.G. Je dirais le sentiment d’accomplissement, le dépassement de soi, le fait d’avoir vaincu des peurs, d’avoir accompli des choses qu’ils n’auraient jamais pensé accomplir. Ça a amené plusieurs à se percevoir différemment aussi. Pour certains, l’aventure leur a permis de reconnecter avec des forces qu’ils avaient juste mises de côté depuis leur épisode psychotique. Ils se sont dit : « Ben oui, c’est vrai, je suis persévérant » ; « Je suis capable d’aller au-delà de mes peurs ». Mais je crois que la partie la plus importante, c’est l’aspect social. On vient briser l’isolement et ils se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls à vivre avec la psychose. Une petite communauté se forme à ce moment-là, communauté qui est précieuse pour eux puisqu’ils peuvent y partager ce qu’ils vivent et s’entraider.

T. T. Quelle a été votre expérience et votre appréciation de la recherche qualitative ? Quels sont ses points forts ou ses lacunes ?

C.G. Pour moi, ça a vraiment été juste du positif, la recherche qualitative : cela permet d’aller dans des zones où ne peut pas aller la recherche quantitative, surtout dans le contexte d’une recherche auprès de personnes psychotiques chez qui il peut être très ardu de répondre à des questionnaires autorapportés. La surprise que j’ai eue, c’est qu’il est souvent difficile pour eux d’élaborer sur ce qu’ils vivent. Je me retrouvais confrontée à des réponses d’un mot ou deux, et je devais constamment les relancer pour essayer d’aller chercher plus d’informations. En y repensant, je ne suis pas certaine que les entrevues soient les meilleurs outils avec cette population. Je crois que l’observation participante où tu vis avec eux l’aventure permettrait de se nourrir des observations faites sur le terrain, des changements qui s’opèrent et qui ne peuvent pas vraiment être transmis verbalement par les participants.

T. T. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Ce fût un plaisir de parler avec vous.

C. G. Ça a été un plaisir partagé. Merci à toi de t’être intéressé à notre recherche.


Corrigé par Shawn Manuel et Thomas Girard-Pelletier

Photo par Daniel J. Schwarz (@Daniel J. Schwarz)