Compte-rendu de la conférence de Sonia J. Lupien, Ph. D.
Ancienne directrice du Centre de recherche de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal, Dre Sonia Lupien est professeure titulaire au département de psychiatrie de l’Université de Montréal ainsi qu’au département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Ses intérêts de recherche portent principalement sur les effets du stress sur le cerveau humain. Elle a mis sur pied le Programme « Dé-Stresse et Progresse », offrant des outils facilitant la transition entre l’école primaire et secondaire, une période souvent anxiogène pour l’enfant. D’ailleurs, elle est aussi fondatrice et directrice du Centre d’études sur le stress humain. Lors de sa conférence « Communiquer la science au public : une conversation plutôt qu’un monologue », Dre Sonia Lupien met de l’avant l’importance d’une approche bidirectionnelle entre le public et les scientifiques. Elle y décrit notamment les étapes effectuées qui ont permis de développer ce transfert des connaissances allant des scientifiques vers le public au sein du Centre d’études sur le stress humain.

Source de l’image : Centre de recherche de L’IUSMM. Sonia Lupien [En ligne]. https://criusmm.ciusss-estmtl.gouv.qc.ca/fr/chercheur/sonia-lupien
Par Emmanuelle Charette-Pouliot
Selon les plus récentes statistiques, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada investit près de 850 millions de dollars par année pour subventionner les recherches dans le domaine (Gouvernement du Canada, 2016). La recherche scientifique est donc majoritairement financée par les contribuables. Pourtant, la science est un domaine qui demeure méconnu ou incompris pour une grande partie de la population. Il importe donc qu’elle soit davantage accessible et que ses résultats soient transmis de manière optimale. C’est ce qu’avance Dre Sonia Lupien lors de sa conférence « Communiquer la science au public : une conversation plutôt qu’un monologue », organisée par Sciences 101.
Le but de la recherche scientifique est de prédire, décrire, vérifier et expliquer certains phénomènes pour ensuite les mettre en relation avec un domaine d’intérêt et d’actualité (Dionne, 2013). Par exemple, un article scientifique pourrait chercher à prédire les effets possibles du stress chronique sur la mémoire. Les résultats présentés et validés serviront autant aux scientifiques qu’au grand public. D’un côté, les scientifiques s’en serviront pour démystifier le fonctionnement et le comportement humains, en tirant des conclusions et en émettant des recommandations fondées et d’actualité. De l’autre côté, ces conclusions et recommandations pourront servir de moteur de changement dans le quotidien des individus touchés par les phénomènes étudiés.
Différents moyens s’offrent aux chercheur.e.s pour présenter leurs résultats de recherche, notamment la participation à des congrès scientifiques et la publication d’articles scientifiques. Bien que ces moyens assurent un certain contrôle de l’information, ils sont loin d’être accessibles à tous et à toutes, les congrès scientifiques étant réservés aux spécialistes et les droits d’accès aux articles scientifiques étant très dispendieux.
À l’ère de la communication rapide, la grande majorité d’entre nous puise ses informations et connaissances dans les médias sociaux ou traditionnels. L’accessibilité et la grande tribune dont bénéficient ces plateformes rendent le partage rapide, facile et efficace. Mais, évidemment, cette pratique n’est pas sans risques. Le fonctionnement de ces technologies de communication rapide fait en sorte que l’information qui y est transmise est souvent simplifiée à outrance, perdant ainsi en nuance. Par le fait même, le contrôle de l’information de masse devient très fastidieux, problème auquel n’échappent pas les connaissances scientifiques.
Nous pouvons également observer un déclin important de la place accordée à la science dans les médias traditionnels. En effet, beaucoup moins d’articles traitant de nouveaux résultats ou de nouvelles avancées sont produits. De plus, Dre Lupien souligne que le nombre de journalistes scientifiques a considérablement diminué au fil du temps, et que cette baisse n’est pas sans conséquences. Les journalistes spécialisé.e.s dans d’autres domaines se retrouvent contraint.e.s d’interpréter des données ou des résultats de recherche scientifique ne relevant pas de leur champ d’expertise, rendant le contenu de leurs articles souvent inexacts, voire fallacieux.
La science est un domaine complexe et très rigoureux et l’interprétation des données scientifiques nécessite une formation soutenue, ce qui complexifie grandement la tâche à ces journalistes, qui, pour la grande majorité, peuvent partager des informations erronées.
Un phénomène fréquemment observé dans l’espace médiatique est la déformation d’un résultat de corrélation en résultat de causalité. En d’autres mots, interpréter faussement un facteur « lié » comme étant en facteur « causant ». Cette erreur peut sembler banale, mais au contraire, elle contribue à la désinformation et nuit à la crédibilité des chercheur.e.s touché.e.s. Il importe donc de rester vigilant.e.s afin de la prévenir et de contrer ce phénomène. Il convient aussi de noter que cette désinformation peut entraîner un climat de méfiance entourant la science, puisqu’il devient ardu pour le lectorat de démystifier les multiples interprétations proposées dans les médias. Pourtant, la rigueur dont s’est dotée la communauté scientifique devrait lui assurer un certain degré de fiabilité.
Il importe également de mentionner qu’une théorie scientifique doit en tout temps respecter le principe de réfutabilité, ce qui signifie qu’une affirmation doit pouvoir être prouvée fausse pour qu’on puisse la considérer comme valide. Aucune théorie ne peut donc prétendre détenir la validité absolue. De ce fait, il est primordial de demeurer critique lors de la lecture d’articles médiatiques présentant ou s’appuyant sur des résultats scientifiques en gardant ce principe en tête.
Cet enjeu étant soulevé, il est possible de se demander par quel chemin l’information scientifique devrait-elle passer pour demeurer la plus fidèle possible à la démarche et aux résultats des chercheur.e.s. Comme le souligne Dre Lupien, même s’il peut sembler évident que le transfert des connaissances devrait passer directement des chercheur.e.s au public, une telle démarche n’est pas sans embûches. La vulgarisation scientifique demande énormément de temps et d’investissement. Elle demande aussi un changement dans l’approche communicationnelle et d’échange. Bref, elle demande une grande adaptation.
« Inclure les membres du public en créant une communauté d’utilisateurs des connaissances » : voilà ce que nous propose Dre Lupien dans sa conférence. L’inclusion de la population générale dans la science peut se faire en sollicitant leur participation. De cette façon, celle-ci est personnellement concernée par les résultats, ce qui est un grand moteur de changement. C’est donc dire que la clé réside dans la bidirectionnalité de l’échange. C’est l’objectif du Centre d’études sur le stress humain, organisme mettant de l’avant la recherche et l’enseignement accessibles au public. Évidemment, l’éducation demeure centrale tout au long du processus. À ce propos, Dre Sonia Lupien mentionne une autre solution pertinente : outiller les spécialistes au niveau de la transmission des connaissances, c’est-à-dire les enseignant.e.s. De cette manière, l’information est bien vulgarisée, bien expliquée et, par le fait même, mieux transmise et comprise par le public.
Dre Lupien nous laisse sur une piste intéressante : comment expliquer ce bris de communication et cette mésinterprétation ? Quels sont les processus, les corrélats ou les facteurs de la désinformation ? Ces phénomènes étant peu étudiés, le développement de cette Chaire de recherche pourrait amener d’importants changements au sein de notre société. Nous pourrions ainsi espérer remédier à l’enjeu communicationnel qui persiste entre la communauté scientifique et les membres du public afin de favoriser une conversation nécessaire, utile et enrichissante pour les deux partis.
Merci à Sciences 101 pour avoir organisé cet événement. Pour en savoir plus à propos de cet organisme, consultez leur page Facebook Sciences 101- Vulgarisation UQAM et leur site web Sciences 101.
Références
Gouvernement du Canada. (2016). Dépenses relatives aux programmes. Conseil de recherches en sciences humaines. https://www.sshrc-crsh.gc.ca/results-resultats/expenditures-depensees/index-fra.aspx
Dionne, B. (2013). Pour réussir – guide méthodologique pour les études et la recherche (6e édition). Chenelière Éducation.
Corrigé par Roxane Rousseau, Camille Lavoie, Thomas Tisserand.
Révisé par Shawn Manuel et Thomas Girard-Pelletier.
Photo par Nijwam Swargiary (@pixel_talkies)