Par Lyanne Levasseur Faucher, B. Sc.
Ce texte a initialement été rédigé dans le cadre du cours Soutien à la famille et troubles envahissants du développement ou déficience intellectuelle de l’UQAM (PSY7514).
À l’intérieur de l’ouvrage L’autisme, un jour à la fois, les chapitres entremêlent des sections informatives sur le sujet et des passages sous forme de témoignages de la mère de Maëlle, Catherine Kozminski. Cette dernière est mère de trois enfants, dont Maëlle qui est l’aînée et qui présente un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Catherine Kozminski co-signe ce livre avec Dre Nathalie Poirier, psychologue, professeure et chercheuse au département de psychologie de l’UQAM.
Obtenir un diagnostic du trouble de l’autisme (TSA) pour son enfant peut entraîner un sentiment de soulagement chez les parents, puisqu’en plus de donner accès à des services essentiels, il permet de comprendre, de nommer ou encore d’échanger en intégrant des groupes de soutien. Il n’en reste pas moins que cet événement est souvent ressenti comme une onde de choc pour les parents, qui doivent apprivoiser les étapes du deuil de l’enfant sans TSA. Mais qu’en est-il lorsque l’évaluation concerne un deuxième enfant, ou bien lorsqu’un couple décide d’avoir un second enfant par la suite ? En ce sens, les paragraphes suivants traiteront des particularités générales associées au fait d’avoir un frère ou une sœur autiste puis, plus spécifiquement, des différences possibles pour la fratrie selon le rang familial de cette dernière.
Les effets généraux du diagnostique de TSA pour la fratrie
Selon diverses recherches, la majorité des frères et des sœurs d’enfants autistes n’aurait pas de difficultés particulières : Quintero et McIntyre (2010) affirment effectivement qu’il n’y a pas de lien observé entre la qualité de la relation fraternelle et le revenu familial, le niveau d’éducation des parents, l’âge de la fratrie ou de l’enfant ayant un TSA. Cette étude ne rapporte aucune différence significative entre les performances scolaires de la fratrie et celles d’élèves de la même classe.
D’un point de vue constructif, plusieurs deviennent des adultes plus ouverts aux différences et plus soucieux de préserver les liens avec leur famille. Selon Beyer (2009), cité par Poirier et Des Rivières-Pigeon (2012), plusieurs enfants et adolescent.e.s ont une perception très positive de leur relation avec leur frère ou leur sœur autiste. Il y aurait une corrélation positive entre le degré de persévérance de l’enfant non autiste et le développement d’une relation positive avec l’enfant autiste. En d’autres mots, la persévérance de la fratrie favoriserait l’investissement des deux parties, alors qu’une faible persévérance chez la fratrie serait associée à plus d’insatisfaction par rapport à l’attention parentale reçue (Rivers et Stoneman, 2008).
En revanche, des études illustrent que la sévérité des troubles de comportements de l’enfant autiste aurait des impacts sur la fratrie, car elle est positivement corrélée à la présence de problèmes de comportements au sein de la fratrie (Hastings, 2007) et à la rivalité. Cela serait expliqué par le fait que le reste de la fratrie est moins porté à vouloir interagir avec l’enfant autiste lorsqu’il montre des difficultés comportementales (Orsmond et al., 2009). En plus de présenter un sentiment d’inquiétude par rapport au partage de l’attention de leurs parents, le reste de la fratrie peut craindre de perdre sa place auprès d’eux. Une variété d’émotions peut être vécue, comme la honte de faire des sorties familiales et la peur que l’enfant avec un TSA ait des comportements dérangeants, la culpabilité de ne pas toujours l’apprécier et le doute de l’aimer, la colère et la crainte de devoir l’épargner pour le protéger (Poirier et Kozminski, 2008).
Dans le même ordre d’idée, la fratrie peut ressentir des émotions négatives envers l’enfant autiste comme la jalousie, le ressentiment ou la colère. La frustration peut être accentuée si la fratrie se voit contrainte de limiter ses activités ou de délaisser ses amis pour venir en aide à l’enfant présentant un TSA. Avec l’âge, les parents peuvent leur attribuer davantage de responsabilités, ce qui peut être considéré comme injuste et provoquer des conflits (Orsmond et Seltzer, 2009), plus souvent lorsque l’enfant autiste est l’aîné (Petalas et al., 2009). En outre, ils peuvent sentir que leurs parents ont des exigences plus élevées envers eux. Poirier et Kozminski (2008) soulignent que ce sont les comportements extériorisés qui trahiraient ce ressenti, puisque la fratrie passerait à l’acte pour attirer l’attention des parents, lorsque ces derniers se concentrent davantage sur l’enfant ayant des besoins particuliers. Il est aussi mentionné que la sœur d’un enfant autiste sera généralement plus affectée qu’un frère, car il serait attendu qu’elle soit plus maternante et ait tendance à endosser le rôle parental (Poirier et Kozminski, 2008). Bien que la fratrie puisse parfois accepter cette prise en charge, il arrive qu’elle s’en acquitte avec ressentiment (Seligman et Darling, 2007 ; Harris et Glasberg, 2003).
L’aîné non autiste
D’une part, lorsqu’il est l’aîné, il peut ressentir de la déception lorsqu’il comprend que l’enfant autiste ne peut devenir son compagnon de jeu et que ce dernier attire une grande portion de l’attention des parents. Face à l’incompréhension des réactions singulières de l’enfant autiste, la fratrie peut être intimidée, se sentir rejetée ou devenir agressive. Un aîné peut reprocher le manque d’échanges possibles avec son cadet autiste et finir par l’ignorer. Cependant, l’aîné peut aussi prendre le rôle de petit intervenant, en raison d’une préoccupation pour son frère ou sa sœur autiste ou d’un lien de communication privilégiée, les positionnant comme intermédiaire entre l’enfant et les parents (Poirier et Kozminski, 2008).
Le cadet non autiste
D’autre part, lorsqu’il est le cadet, l’enfant non autiste serait plus réactif étant donné que les parents prodigueraient rapidement plus de soins à l’enfant TSA. Les soins alloués à la fratrie peuvent être moindres ou fluctuer dépendamment des réactions de l’aîné autiste (p. ex., indifférence ou régressions) et du niveau d’atteinte de ce dernier. Le cadet peut se rendre compte de la différence de son aîné puisqu’il risque de le surpasser sur le plan académique : il peut adopter un rôle de protecteur et d’interprète pour les professeurs. Il arrive parfois que l’enfant non autiste porte un important sentiment de culpabilité qui l’empêche de s’épanouir émotivement et intellectuellement. Il peut éviter d’inviter des amis au domicile, réduire ses relations sociales, être mal à l’aise à cause des comportements autistiques. De façon similaire aux aînés non autistes, il peut également être animé d’un désir de surprotection (Poirier et Kozminski, 2008).
En terminant, vous avez peut-être aperçu Maëlle, aujourd’hui âgée de 18 ans, de même que des membres de sa famille, puisqu’elle fait partie des jeunes découverts à travers l’émission Autiste, bientôt majeur. Vous pouvez la retrouver sur la page Facebook Maëlle et la bête. En plus d’avoir des répercussions sur l’enfant, un diagnostic de TSA bouleverse l’équilibre familial. Ce diagnostic complexe mériterait d’être étudié davantage afin de mieux le comprendre, ce qui permettrait de mieux aider les familles et les enfants qui en sont touchés de près ou de loin. Davantage de recherches longitudinales seraient nécessaires pour mesurer entre autres les impacts d’avoir un frère ou une sœur autiste et les facteurs d’influence sur ces relations uniques.
Bibliographie
Beyer, F.J. (2009). Autism Spectrum disorders and sibling relationships: Research and strategies. Education and Training in Developmental Disabilities, 44(4), 444-452.
Harris, S. L. et Glasberg, B. A. (2003). Siblings of Children with Autism (2e éd.) Bethesda, MD: Woodbine.
Hastings, R. P. (2007). Longitudinal relationships between sibling behavioral adjustment and behavior problems of children with developmental disabilities. Journal of Autism and Developmental Disorders, 37, 1485–1492.
Orsmond, G. I., Kuo, H., et Seltzer, M. M. (2009). Siblings of individuals with an autism spectrum disorder: Sibling relationships and well-being in adolescence and adulthood. Autism, 13, 59–80.
Orsmond, G.I et Seltzer, M. M. (2009). Adolescent siblings of individuals with an autism spectrum disorder: Testing a diathesis-stress model of sibling well-being. Journal of Autism and Developmental Disorders, 39, 1053-1065.
Petalas, M. A., Hastings, R. P., Nash, S., Lloyd, T., et Dowey, A. (2009). Emotional and behavioural adjustment in siblings of children with intellectual disability with and without autism. Autism, 13, 471–483.
Poirier, N., et des Rivières-Pigeon, C. (2012). Le trouble du spectre de l’autisme. États des connaissances. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Poirier, N. et Kozminski, C. (2008). L’autisme, un jour à la fois. Québec : Presse de l’Université Laval.
Quintero, N. et McIntyre, L. L. (2010). Sibling adjustment and maternal well-being. An examination of families with and without a child with an autism spectrum disorder. Focus on Autism and Other Developmental Disabilities, 25(1), 37-46.
Rivers, W. J. et Stoneman, Z. (2008). Child temperaments, differential parenting, and the sibling relationships of children with autism spectrum disorder. Journal of Autism and Developmental Disorders, 38, 1740-1750.
Seligman, M. et Darling, R. B (2007). Ordinary Families, Special Children. A Systems Approach to Childhood Disability. New York, NY : The Guilford Press.
Corrigé par: Nessa Ghassemi-Bakhtiari, Sarah Trujillo, Camille Lavoie et Zoé Guézel
Relu par: Shawn Manuel, Thomas-Girard-Pelletier
Photo par @Annie Spratt