Par Simone Laplante
Dans la vie de tous les jours, les gens évaluent constamment leurs compétences et capacités à accomplir une tâche physique ou intellectuelle. Cela s’applique à n’importe quel domaine, que ce soit dans le sport, en arts, en affaires ou autres. Ce processus d’évaluation prend en considération l’équilibre entre l’objectif à atteindre et les capacités et habiletés cognitives. Cet équilibre est nécessaire puisque la tâche demandée occasionne et reflète l’importance de la métacognition.
La métacognition implique une forme d’introspection par la réflexion et une prise de conscience de ses propres processus mentaux et ceux des autres (Jaume, Noël & Godart, 1995). Cette auto-réflexion peut être établie lors de l’obtention du fonctionnement optimal, une théorie soutenue par le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi1. Sa théorie du flow illustre un équilibre entre les exigences d’une tâche et les capacités de l’individu. Lorsque cet équilibre est atteint, la personne parviendra à exécuter la tâche d’une manière plus accomplie. Cependant, cette prise de conscience métacognitive n’est pas toujours adéquate ; elle n’échappe pas à certains biais, tels que l’effet Dunning-Kruger. Cet effet est une réalité psychologique commune à tous, pouvant être occasionnelle, fréquente, ou parfois même habituelle.
Comprendre l’effet Dunning-Kruger
En décembre 1999, les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger ont publié une étude dans la revue Journal of Personality and Social Psychology dans laquelle ils font ressortir l’existence d’un biais cognitif qui circonscrit l’interaction des connaissances et compétences d’un individu avec son degré de confiance. En ce sens, l’effet Dunning-Kruger soulignerait plus précisément une difficulté à bien départager l’objectivité précise de l’erreur ; cela résulterait d’une croyance supérieure ou inférieure envers ses propres compétences et habiletés. Ce biais, aussi surnommé l’effet de surconfiance, expliquerait pourquoi un individu possédant moins de compétences et de connaissances relatives à un sujet serait en moins bonne mesure de réaliser et d’analyser ce manque de capacités et, ainsi, surestimerait son niveau de compréhension. L’effet inverse peut aussi se produire : une personne possédant beaucoup de connaissances et de compétences dans un domaine aurait davantage tendance à sous-estimer ses capacités et son niveau de compétence. Ainsi, l’effet Dunning-Kruger est une corrélation inversement proportionnelle entre ces deux variables. Moins une personne possède de compétence, plus elle sera confiante en elle-même et plus elle aura tendance à surestimer ses capacités.
L’effet Dunning-Kruger dans la vie de tous les jours
L’effet Dunning-Kruger peut être observé dans notre société dans différentes sphères. Par exemple, nous pouvons le remarquer par l’entremise des médias sociaux tels que sur les plateformes Youtube ou Instagram, où vlogueuses.eurs et inflenceuses.eurs diffusent une panoplie d’informations. Ces plateformes contribuent effectivement à la prolifération et au dispersement d’informations, qu’elles soient véridiques ou fausses, ce qui peut entrainer une difficulté de filtrage et de la désinformation au sein du public.
Confrontée à de la fausse information (fake news), une personne pourrait se faire une idée préconçue et avoir un biais cognitif en ce qui a trait à ses propres capacités à évaluer et à analyser l’information. Cela pourrait donc mener la personne à se sous-évaluer ou se surévaluer. Par exemple, l’effet Dunning-Kruger peut être observé dans la montée et dans l’influence à grande échelle des mouvements complotistes, qui clament que l’humain n’a jamais marché sur la Lune; que la Terre est plate ou encore que les vaccins causent l’autisme. L’accessibilité facile et rapide à une vague déferlante d’informations engendre une problématique au niveau du filtrage en ce qui a trait à la validité et à la véracité du contenu diffusé. Comment bien filtrer l’information ? Quelle source est la plus légitime ? En qui avoir confiance ?
Les limites de l’effet Dunning-Kruger
De plus récentes études ont toutefois démontré des limites concernant la légitimité de l’effet Dunning-Kruger. Selon deux articles publiés en 2016 et en 2017 dans la revue mathématique Numeracy par Dr. Ed Nuhfer et ses collègues2, l’effet Dunning-Kruger serait plus proche d’une illusion. En effet, selon ces articles, l’effet pourrait être répété en utilisant des données aléatoires provenant d’ordinateurs (machine-generated data). Leurs conclusions révèlent que les experts et les novices d’un domaine quelconque ont autant de chance de sous-estimer ou de surestimer leurs compétences, mais que, statistiquement, les experts le font beaucoup moins.
De plus, dans un article publié en 2020 par l’Office for Science and Society de l’Université McGill3, le professeur Patrick E. McKnight du département de psychologie à l’Université George Mason argumente que la méthodologie utilisée lors la recherche sur l’effet Dunning-Kruger publiée en 1999 aurait été trompeuse. McKnight souligne par ailleurs que la démarche scientifique de cette étude démontrait graphiquement le biais causé par une erreur de perception humaine, ce qui entraînait les gens moins compétents dans un domaine à avoir tendance à être plus confiants de leur connaissance. Cependant, selon le professeur McKnight, en supprimant la composante du cerveau humain, les données changent. En utilisant des données concernant l’auto-évaluation et la performance générées par un ordinateur, la mesure de l’auto-évaluation devient moins fiable, car celle-ci peut varier avec le temps. Dans l’étude de Dunning et Kruger (1999), les composantes de l’auto-évaluation et de la performance ne sont nullement liées. Pourtant, elles sont calculées et influencées l’unes par l’autres et ne tiennent pas compte de la durée.
Et alors ?
Ce qu’il faut retenir est que l’effet Dunning-Kruger en tant que tel fait référence à un biais cognitif occasionné par des sources douteuses, voire erronées. Cependant, ce biais n’aurait rien à voir avec l’intelligence d’une personne. À la lumière des constats élaborés dans cet article, il faut garder en tête que ce texte est de nature informative et a comme objectif principal de mettre en garde contre ce biais possible et de souligner l’importance de bien filtrer l’information à laquelle nous sommes exposé.e.s. Afin de réduire les chances de tomber dans le piège, il est judicieux de reconnaitre ses propres limites et de demander l’avis d’experts sur des sujets moins familiers—voire même approfondir soi-même sa recherche en persévérant l’étude d’un sujet en particulier. Pour ne pas succomber à ce biais cognitif, il ne faut pas surtout oublier le plus important…garder l’esprit ouvert à l’incertitude !
Notes
1 Csikszentmihalyi, M. & Bouffard, L. (2017). LE POINT SUR LE FLOW. Revue québécoise de psychologie, 38(1), 65–81. https://doi.org/10.7202/1040070ar
2 Nuhfer, Edward, Steven Fleisher, Christopher Cogan, Karl Wirth, and Eric Gaze. « How Random Noise and a Graphical Convention Subverted Behavioral Scientists’ Explanations of Self-Assessment Data: Numeracy Underlies Better Alternatives. » Numeracy 10, Iss. 1 (2017): Article 4. DOI: http://dx.doi.org/10.5038/1936-4660.10.1.4
3 Jarry, J. (2020, 17 décembre). The Dunning-Kruger Effect Is Probably Not Real. McGill Office for Science and Society
Autres références
Klein, O. (2018, October 28). Mécanismes psychologiques mis en œuvre face à la désinformation et pistes d’intervention. https://doi.org/10.31234/osf.io/4rf7d
Jaume, Y., Noël, B. & Godart, A.-M. (1995). La métacognition : sésame de la réussite. Québec français,(98), 42–47.
Zhou, X, Jenkins,R. (2020, octobre). Dunning–Kruger effects in face perception. Cognition.https://www-sciencedirect-com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/science/article/pii/S0010027720301645
Correction: Fannie Locat et Chloé Simard
Révision : Nessa Ghassemi-Bakhtiari
Photo par @alexiby