Par Thomas Tisserand
Nonobstant les innombrables inconvénients qu’ont entrainé le confinement dans notre société, mon rythme de lecture a profité de cette oisiveté toute neuve pour se décupler, me permettant ainsi de réfléchir, au travers des romans, à l’isolement et à ses incidences sur la psyché humaine. Je souhaite aujourd’hui vous en faire part et vous proposer certaines œuvres qui, je l’espère, feront écho à votre expérience des derniers mois.
Commençons par la réécriture du célèbre récit de Robinson Crusoé, Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier. Ce roman nous propulse dans la vie interne d’un naufragé aux prises avec l’inexorable solitude que lui impose l’île déserte où il fut laissé pour mort et qu’il baptisa Speranza (espérance). Plusieurs aspects psychologiques valent d’être soulignés pour celles et ceux qui auraient la tentation de plonger au cœur de cette fabuleuse robinsonnade. Je pense entre autres à l’altération de la notion du temps qui tourmente notre protagoniste tout au long du récit. Obsédé et soumis à sa clepsydre, raccroché au rythme de la société, il va plus tard la délaisser et retourner à un état de nature presque rousseauiste. Comme Robinson, beaucoup d’entre nous ont vu leur horaire s’alléger comme jamais auparavant. Cette liberté soudaine et fort angoissante au premier abord a tout de même permis à plusieurs, à l’instar de notre solitaire insulaire, d’en profiter pour (re)questionner leur être profond et pour se ressourcer.
Mais comment pourrais-je aborder l’isolement sans l’apport indéniable d’Albert Camus en la matière? Bien que ce thème traverse l’entièreté de son oeuvre (dans des oeuvres comme L’Étranger, La Chute, L’Exil et le Royaume ou encore Caligula), l’adéquation entre notre situation et celle de son roman La Peste est telle qu’elle m’oblige à m’y attarder. On ne peut que partager le sentiment diffus de l’indicible manque qu’engendre cette séparation d’avec nos congénères telle qu’élaborée dans le récit. Chacun-e trouve son corollaire dans la présente pandémie : l’héroïsme de l’ensemble du personnel soignant est incarné dans le récit par le docteur Rieux, médecin de la commune qui va inlassablement au front ; celleux qui voient dans la COVID-19 une juste revanche de la nature nous rappellent le père Paneloux, un ecclésiastique persuadé que la peste est un châtiment divin ; les grandes corporations s’étant outrageusement enrichies durant la crise trouvent leur pendant chez l’avide marchand Cottard, qui vendait à des prix exorbitants des biens dont tout le monde manquait. On constate alors, grâce aux différents personnages du récit, l’apparente universalité des comportements humains face à une pandémie. Dans La Peste comme dans la vie réelle, face à une crise sanitaire, certains-nes désespèrent, d’autres trouvent un moyen d’en profiter ; il y a aussi des héros-ïnes stoïques, des incrédules et des instances gouvernementales qui tardent à agir.
La dernière oeuvre sur laquelle je souhaiterais dire quelques mots, bien moins connue que les deux précédentes, s’intitule La Peau froide, un roman fantastique d’Albert Sànchez Piñol, un auteur catalan que j’affectionne tout particulièrement. Sans trop en dévoiler sur ce livre, je soulignerais simplement qu’il constitue un parfait exemple de solidarité humaine, malgré les compromis nécessaires à réaliser en temps d’urgence, et ce en dépit des différends qui peuvent entraver la coopération : c’est alors littéralement une question de vie ou de mort.
Pour conclure, j’aimerais dresser une liste de quelques-uns de mes coups de coeur, (outre ceux dont j’ai traité dans le présent article) parmi les œuvres que j’ai lues au cours de la pandémie et que je vous conseille, chers lecteurs et chères lectrices.
- La mort d’un commis de dépanneur de Jean-François Aubé, Lévesque Éditeur.
- Shuni de Naomi Fontaine, Mémoire d’encrier.
- Océan Mer d’Alessandro Baricco, Gallimard.
- La pensée blanche de Lilian Thuram, Mémoire d’encrier.
- Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, 10/18.
- St Kilda de Fanie Demeule, Québec-Amérique.
- Le Président Schreber de Sigmund Freud, Payot.
- Dieu et nous seuls pouvons de Michel Folco, Seuil.
- La nouvelle lutte des classes de Slavoj Žižek, Fayard.
- La méthode Schopenhauer d’Irvin Yalom, Seuil.
Texte corrigé par Fannie Locat, Camille Lavoie et Jackie Ta
Révisé par Mélyna Langlois
Photo par: Clay Banks (@claybanks)