Par Zoé Guézel
Me voilà rendue au 8 septembre 2020, la session d’automne débute à l’UQÀM, et je suis toujours chez moi en France. Les permis d’études (PE) sont à l’arrêt depuis quelques mois déjà. J’ai toujours espoir de recevoir le mien prochainement, quand bien même les frontières sont encore fermées aux étudiant.es étrang.ères. Tant que les frontières ne rouvrent pas, les permis d’études ne seront pas délivrés. Ainsi, j’attends chaque fin de mois, depuis le 30 juin, les mises à jour des frontières du Canada, dans l’espoir d’une annonce positive.
Il est maintenant temps de s’organiser en ce début de session en tenant compte du décalage horaire. Ce n’est pas une mince affaire ! Les cours du matin tombent l’après-midi et les cours du soir débutent à minuit en France. Comment s’adapter ? Est-ce que je me décale sur le fuseau horaire de Montréal ? Est-ce que je reste sur le fuseau horaire français ? Je teste différentes options, et finalement, je me décale.
C’est étrange de vivre en décalage. Le réveil est à 13h, le dîner à 18h et le souper à 2h du matin. Enfin, aller dormir à 4h du matin. Je ne croise pas beaucoup ma famille, mais quelques fois, je dîne avec eux. Aussi, j’arrive à prendre l’air avant la tombée de la nuit. C’est beaucoup de solitude en cette rentrée, et de frustration aussi. C’est très loin de la vie étudiante que je m’imaginais ! On y ajoute également l’incertitude, l’impatience des nouvelles mesures frontalières et l’attente insoutenable, depuis plusieurs mois, de la fameuse lettre d’introduction pour venir sur le territoire canadien.
Pour tenir le coup et pour leur dire au revoir, je suis allée visiter des ami.es, avant que le confinement s’annonce à nouveau en France. Pas facile de partir comme on le souhaite en temps de Covid-19. Puis, je me suis impliquée dans la vie associative de la faculté de psychologie. Me sentir exister au sein de l’université est devenu un besoin avec cette distance.
Me voilà rendue au 2 octobre. Aujourd’hui je suis très fatiguée d’attendre, je suis à bout de motivation pour étudier, je n’en peux plus. La France continue de voir ses cas de Covid-19 augmenter, le Québec passera bientôt en zone rouge : rien ne s’annonce positif. Un de mes contacts Facebook, étudiante aussi depuis la France, m’ajoute dans un groupe WhatsApp très actif de plus de 80 étudiant.es étrang.ères de l’UQÀM. C’est la chose la plus incroyable qui me soit arrivée depuis la rentrée. La discussion en cours portait sur une annonce, le soir même, du gouvernement canadien concernant les étudiants internationaux. Magnifique nouvelle: « Les frontières rouvrent aux étudiant.es internation.ales qui ont un permis d’études valide ou une lettre d’introduction, à partir du 20 octobre. » Quel regain d’énergie ! Un grand soulagement : enfin une avancée. Quelques-un.es d’entre nous sommes resté.es des heures à papoter au téléphone ce soir-là. Je me sentais enfin dans le même bateau que d’autres étudiant.es : je n’étais plus seule, loin de là.
Nous partageons nos questions, nos craintes, nos joies face à la situation : cela est d’une aide immense dans ce parcours. Une étudiante du groupe qui avait déjà son PE a donc préparé son départ pour Montréal dès la fin octobre, à la suite de l’annonce gouvernementale. L’espoir et l’excitation renaissent, nous permettant ainsi de demeurer patient.es, d’y croire encore.
À travers les discussions, je me rends compte que nous venons de France, du Maroc, de l’Algérie, du Cameroun; nous avons toutes et tous sensiblement le même fuseau horaire. Certain.es se décalent entièrement aux heures de Montréal, alors que d’autres ne le sont que partiellement. D’autres, plus stratèges, ont réussi à obtenir des cours du matin/après-midi, leur permettant les journées plus typiques en France. Les cours asynchrones sont d’une grande aide pour nous, cependant une petite appréhension est palpable pour les examens de mi-session, qui eux, seront en direct. C’est une sacrée expérience de les passer à minuit !
Après ce premier mois, des difficultés assez communes pour chacun.e d’entre nous se sont installées. Pour la majorité, la première difficulté est la gestion de l’incertitude quant à notre arrivée à Montréal. On ne sait pas quand on pourra partir, puisqu’il faut attendre notre lettre d’introduction. Certain.es sont déjà à Montréal. On communique, on leur pose des questions ! « C’est comment la situation là-bas ? » Faites-nous rêver de ce fameux « Été Indien »…
Ne pas savoir quand partir nous laisse dans l’inconfort. On n’est pas totalement installé.es dans notre rythme universitaire, alors que la session est déjà bien entamée. On pense à notre départ, à tous les préparatifs, à la recherche d’appartements, de colocations. Il faut aussi régler la paperasse administrative. Toute cette préparation sans avoir de date fixe. C’est un peu comme préparer une compétition sportive sans savoir quand elle aura lieu.
À force de maintenir prêt.es, on s’épuise. Tout cela est très stressant, et il est normal de s’énerver, de se sentir à bout de forces : cela mène à une seconde difficulté, qu’est la motivation. Les cours en ligne sont, pour la majorité des étudiant.es dans le monde, une nouveauté. Et la concentration, l’interaction sociale, en est complètement différente. Nous avions en tête de sentir ce rythme de « foule », de traverser l’université de long en large pour rejoindre les salles de cours, de vivre dans ce nouvel environnement la journée et rentrer le soir à notre logement. De sortir en ville entre amis, de rencontrer de nouvelles personnes… La réalité est bien autre : nous ne bougeons pas de la journée, nous sommes coincé.es chez nous, nous ne rencontrons pas vraiment de nouvelles personnes. La vie sociale est au plus bas.
Cependant, nous avons chacun.e nos techniques pour supporter cette situation au mieux. Se mettre dans les études pour ne penser qu’à cela et oublier le reste, mais aussi aller voir ou appeler ses ami.es, s’impliquer dans les associations étudiantes, organiser sa semaine en se donnant des objectifs pour ses journées, prendre l’air, aller courir, faire du sport, cuisiner, etc. Et bien sûr, ce groupe WhatsApp avec qui les « zoom party » sont devenus de réels moments de légèreté dans ce quotidien. On rigole et on fait le plein de bons moments. C’est vraiment important pour ne pas se sentir isolé.es.
L’UQÀM joue aussi un rôle important pour nous. Notamment, Yannick au Service à la Vie Étudiante (SVE) qui propose des webinaires depuis des mois pour nous orienter et répondre à toutes nos questions. Il est énormément apprécié dans ce groupe!
Nous sommes à l’approche de la mi-session. Ça y est, les lettres d’introduction commencent à arriver ! Quel soulagement, et à nouveau cet engouement général pour celles et ceux qui les reçoivent. Nous sommes le 29 octobre, le Président français fait une annonce ce soir. Et, sans surprise, le confinement refait surface en France. Une attestation est à nouveau nécessaire pour sortir, se déplacer uniquement pour faire ses courses, aller chez le médecin, ou se balader dans un rayon de 1 kilomètre pour 1h. C’est démotivant de retourner en confinement. Nous avons vraiment hâte de rejoindre le Québec. Malgré la quarantaine obligatoire et, par le fait même, une petite crainte de la solitude, nous préférons être confiné.es à Montréal plutôt qu’en France; nous serons rapidement en colocation avec d’autres étudiant.es et le début de la vie à Montréal prendra place.
Quelques heures plus tard, je reçois une première notification de l’immigration: « validation de données biométriques ». Bon, fausse alerte, ce n’est pas la lettre. Une journée plus tard, je reçois une deuxième notification. Je regarde sans trop d’attente – je serai à nouveau déçue si je me réjouis trop vite. Je lis la lettre, puis je la relis. Je n’y croyais plus. Je l’attendais depuis des mois, je l’ai enfin là, sous mes yeux. Ça y est, c’est l’heure de mon départ. Et comme plusieurs, j’ai pleuré. C’était la fin de l’attente, la fin du stress permanent. Les portes s’ouvrent enfin.
Je suis en pleine mi-session et il me faut en plus trouver un logement pour la quarantaine, une colocation, préparer les papiers pour la douane, etc. Tout ça avant le 14 novembre. Nous sommes cinq membres du groupe à partir durant la semaine du 9 novembre. Nous voulions partir dès que possible depuis le début.
Ces semaines de préparation au départ sont très intenses. Il m’est encore plus difficile de suivre mes cours en restant concentrée, tout en finissant les tâches pour les associations. Fort heureusement, on m’a aidée dans tout cela.
Le 10 novembre, un étudiant du groupe part. Il a partagé toutes ses étapes de voyage sur la conversation de groupe. Le départ est proche pour moi aussi, tout se concrétise.
Finalement, je suis arrivée le samedi 14 novembre à Montréal, en fin de journée, accompagnée des derniers rayons de soleil. Enfin. La quarantaine peut maintenant commencer.
Trois autres étudiant.es du groupe sont arrivé.es le lendemain.
Nous sommes enfin sur le fuseau horaire de Montréal et ça fait vraiment plaisir. La quarantaine, c’est particulier; on regarde par nos fenêtres, on étudie, puis on mange. C’est à peu près tout. À notre sortie, nous avons hâte de découvrir Montréal malgré la Covid-19.
Au moment où j’écris cette chronique, il demeure néanmoins que de nombreuses lettres d’introduction n’ont pas encore été délivrées : beaucoup d’étudiant.es de cette session d’automne l’attendent encore. Garder contact entre nous permet de rester positives et positifs, de se serrer les coudes et de soutenir celleux qui vivent encore cette attente interminable.
Globalement, nous avons toutes et tous hâte d’avoir une vie étudiante ici, active, éventuellement en présentiel et, certainement, de socialiser à nouveau. Ô combien nous rêvons de découvrir Montréal !
*Cet article est un témoignage d’une étudiante qui s’inspire aussi de plusieurs témoignages d’étudiant.es internation.ales inscrit.es à la session d’automne 2020 à l’UQAM.
Correctrices : Chloé Simard, Fannie Locat, Mélyna Langlois, Nessa Ghassemi-Bakhtiari
Photo par Todd Trapani (@ttrapani)