Compte-rendu de la conférence de Frédérick Philippe, Ph.D
Frédérick Philippe, Ph.D est professeur titulaire au département de psychologie de l’UQÀM depuis 2011 dans la section Psychologie sociale et personnalité et fondateur du Laboratoire de Recherche sur les Émotions et les Représentations (ELABORER). Organisée par la Chaire de recherche du Canada sur les processus motivationnels et le fonctionnement optimal, la conférence du professeur Philippe « Les représentations mentales en psychologie sociale : illustrations par les souvenirs autobiographiques et la passion sexuelle », présentée le 20 janvier 2021, traite du rôle des représentations mentales et de la régulation émotionnelle dans nos relations intrapersonnelles et interpersonnelles. Frédérick Philippe présente, entre autres, une façon nouvelle et intégrative de répondre aux questions communes en recherche, en s’intéressant à la dynamique des représentations mentales pour expliquer et prédire les comportements humains.

Par Camille Lavoie
Souvent, en psychologie, les expériences subjectives et les comportements observables sont mesurés pour faire des liens avec le bien-être, la motivation, la passion ou les attitudes. Ces analyses nous aident à répondre à la question « comment », mais met de côté la question : « pourquoi ? ». Qu’est-ce qui explique qu’une activité est en harmonie avec qui nous sommes ? Comment peut-on prédire ses conséquences ? Frédérick Philippe s’intéresse à dépasser cette boîte noire, que constituent les processus cognitifs, pour arriver à une approche novatrice et à un niveau supplémentaire de connaissances : les analyses des représentations mentales.
Les travaux du professeur Philippe sur ce sujet visent à mieux comprendre la dynamique temporelle et l’organisation des représentations mentales dans le cerveau. Il tente de faire le pont entre les neurosciences, la psychologie sociale et divers modèles théoriques pour expliquer les comportements humains en adoptant une psychologie plus intégrative. Cette approche multidisciplinaire permet d’établir des liens entre différents niveaux d’analyses, qui sont, pour le moins qu’on puisse dire, fascinants.
D’abord, les représentations ne sont pas des cognitions. Il s’agit plutôt de modèles intériorisés que l’individu se construit de son environnement et qui sont mesurables. Ces représentations s’organisent en réseau de manière associative, c’est-à-dire qu’elles souscrivent à des patrons d’activation bien précis et malléables (Neely, 1977). En effet, ces patrons sont des ensembles d’interconnexions qui s’activent en même temps, de manière procédurale dans notre cerveau. Plus les représentations sont activées simultanément, plus les connexions se renforcent et plus on apprend à les activer simultanément par la suite. On peut s’en apercevoir lorsque le fait de vivre une expérience nous en rappelle une autre. Par exemple, vivre un accident de voiture aura comme conséquence de nous remémorer un autre accident vécu il y a cinq ans. Ces évènements sont liés grâce à l’hippocampe, cette structure cérébrale relativement primitive, qui associe la situation à un élément semblable stocké en mémoire, afin de trouver des antécédents permettant d’expliquer l’événement. Le but de ce processus est de trouver comment agir dans une nouvelle situation. En effet, ce qui est rappelé à notre conscience influencera notre manière de réagir et notre propre ressenti. La théorie mise de l’avant lors de cette conférence s’appuie sur le principe de l’énergie libre du neuroscientifique Karl J. Friston (2006). En bref, en situation d’inconnu, il y aurait une activation des antécédents de l’individu. Si, malgré ces associations, le cerveau n’est pas en mesure d’expliquer ce qu’il se passe, il y a alors ce qu’on appelle une divergence. Cette divergence entre ce qui est vécu dans le présent et ce qui est connu du passé, que nous pouvons nommer erreur de prédiction, représente l’énergie libre. En d’autres mots, il s’agit de la différence entre les états actuels et ce que la personne cherche à vivre ou à être. Réduire cette énergie résulterait à réduire le hasard, affaiblissant ainsi la menace que la situation représente.
Selon le professeur Philippe, nous sommes appelés à réduire cette énergie libre de différentes façons. Les actions que l’on peut poser pour ce faire peuvent être la transformation de l’input sensoriel (p. ex., réduire la peur), la sélection de certains aspects sensoriels (p. ex., faire abstraction d’une douleur) ou la réorganisation de ses antécédents (p. ex., intégrer une nouvelle représentation). Lorsqu’une personne est en situation de divergence, elle peut ressentir du stress, de la culpabilité, de l’incompétence ou tout autre sentiment désagréable. Elle tentera inévitablement d’agir sur ces ressentis et de s’autoréguler. Frédérick Philippe fait ici appel à la théorie de l’autodétermination, développée par Deci & Ryan (2000), pour identifier trois types de régulation émotionnelle possibles. Il y a d’abord la régulation amotivée, ou dysrégulation, qui se caractérise par un sentiment de débordement affectif ou d’exagération des ressentis. On ressent un trop-plein d’émotions difficile à contrôler. Souvent, on tente de montrer sa détresse pour obtenir de l’aide, cherchant à ce qu’une personne extérieure régule l’émotion pour soi. Il y a ensuite la régulation contrôlée, qui se décrit brièvement par le déni, ou le fait d’ignorer ses émotions. C’est un exemple de sélection d’aspects sensoriels puisque la personne agit sur la situation en faisant abstraction de certains stimuli. Le plus souvent, elle tentera d’éviter de revivre l’émotion. Certes, bien que ces moyens soient utiles, leurs bienfaits sont passagers. L’action ne permet que de réduire temporairement la divergence. Le stress et l’impuissance face aux situations futures seront exacerbés chez les individus ayant recours à ces méthodes.
Une meilleure méthode à adopter serait la régulation intégrée, aussi appelée réflexivité. Elle nécessite d’abord une ouverture à l’émotion pour mieux se comprendre soi-même, permettant ensuite de raisonner sur des façons de mieux agir dans les situations à venir. Cette autorégulation implique de remodeler ses représentations et de se créer de nouveaux antécédents. Si la personne réfléchit de façon pleinement consciente à la situation, elle est en mesure d’intégrer une représentation mentale de façon différente. Elle transforme les données sensorielles existantes pour intégrer un antécédent dans lequel une action découlant d’une régulation intégrée a été utilisée. De plus, ce type de régulation émotionnelle pourra probablement inhiber l’input sensoriel dans la nouvelle situation, car la personne sait qu’elle a les ressources psychologiques pour la gérer. Elle réalise que les expériences vécues la font grandir et qu’elles lui permettent d’en apprendre sur elle-même. On observe souvent chez les personnes qui utilisent une régulation intégrative un changement sur le plan de la résilience, une capacité à demeurer flexible face au changement, ainsi que de meilleures compétences pour faire face à l’adversité.
Adopter une bonne technique de régulation émotionnelle est d’autant plus important lorsqu’on sait qu’elle pourra être utilisée pour faire face à une situation semblable dans le futur. Autrement dit, en général, nous avons tendance à utiliser les mêmes techniques d’autorégulation d’une situation à une autre. En étant conscient de ce fait, on peut modifier nos techniques, donc nos antécédents, et ainsi augmenter nos chances d’utiliser une méthode mieux adaptée dans le futur.
Une nuance très intéressante apportée par ce modèle est qu’il est primordial de changer ses antécédents, en plus de les transformer selon nos autres représentations mentales. Tous les jours, nous sommes confrontés aux standards de la société. Selon ce que l’on comprend de cette société, on peut ressentir une certaine pression ou une divergence entre qui l’on est et ce qui est attendu de nous. On peut alors essayer de changer nos antécédents pour souscrire à ces attentes, diminuant ainsi l’énergie libre. Toutefois, même si la divergence a été réduite et que les antécédents ont changé, il subsiste un conflit au sein du concept de soi. Si la régulation émotionnelle mène à l’intégration d’une nouvelle représentation mentale qui n’est pas cohérente avec celles qui sont déjà existantes, il subsiste une divergence, cette fois intrinsèque. En d’autres mots, il faut choisir d’intégrer ce qui vient de soi et non ce qui vient de l’extérieur. Il faut préciser ses antécédents de manière cohérente et harmonieuse avec soi-même. Cette harmonie peut alors nourrir toutes les autres sphères de sa vie.
Si l’on intègre la théorie de l’énergie libre, tout organisme vivant cherche à réduire la menace ou la divergence dans sa vie selon ses propres antécédents. On comprend donc que les êtres humains abordent fréquemment les différents problèmes avec les mêmes solutions. Bien qu’il soit bénéfique d’agir sur le moment pour supprimer des émotions négatives, par exemple en les sublimant, il ne faut pas oublier de revenir à la cause de celles-ci par la suite. Il faut, un jour ou l’autre, prendre action sur ce qui a créé le stress en premier lieu. Le modèle théorique que propose le Dr. Philippe emboîte le pas aux tendances actuelles de pratique de la pleine conscience et aux stratégies psychothérapeutiques intégratives visant la souplesse émotionnelle et cognitive. La psychologie contemporaine tend de plus en plus vers les stratégies d’exposition qui visent à laisser monter, à accueillir, à accepter et à nommer les émotions. Les pratiques de Mindfulness et d’auto-compassion seraient-elles la clé d’une bonne santé mentale et d’une vie harmonieuse ? Le futur nous le dira, mais, pour l’instant, les résultats des recherches sont très prometteurs.
Références
Deci & Ryan. (2000). Self-Determination Theory and the Facilitation of Intrinsic Motivation, Social Development, and Well-Being. American Psychologist, Vol. 55(1), 68-78. https://doi.org/10.1037110003-066X.55.1.68
Friston, K and al. (2006). A free energy principle for the brain. Journal of Physiology – Paris, Vol. 100(1-3), 70-87. https://doi.org/10.1016/j.jphysparis.2006.10.001.
Neely, J. H. (1977). Semantic priming and retrieval from lexical memory: Roles of inhibitionless spreading activation and limited-capacity attention. Journal of Experimental Psychology: General, Vol. 106(3), 226–254. https://doi.org/10.1037/0096-3445.106.3.226
Édité par Nessa Ghassemi-Bakhtiari
Corrigé par Fannie Locat, Sarah Trujillo, Zoé Guézel
Photo par : Joshua FullerHire (@joshuafuller)