Par Flavie Béland
*Ce texte est une adaptation du travail « Shyness in Contemporary Western Societies : Mental Illness or Social Construct? » écrit par Flavie Béland dans le cadre du cours Integration Seminar in the Social Sciences au Collège Champlain, Campus St-Lambert, à l’hiver 2022.
Un nombre croissant de personnes déclarent souffrir de timidité ou, dans les cas les plus sérieux, d’anxiété sociale, également connue sous le nom de phobie sociale. Cet article vise à mettre en lumière comment la timidité est perçue et devrait être traitée, selon différentes perspectives, dans ses formes les plus extrêmes.
La gêne, à différents degrés de sévérité, est très fréquente chez les enfants et les adolescents1,2.
Tableau récapitulatif des situations, symptômes et conséquences liées à l’anxiété sociale :
| Situations pouvant causer de l’anxiété sociale | |
| Parler en public 3 Se sentir observé en faisant quelque chose4 | Être taquiné5 Rencontrer de nouvelles personnes6 |
Symptômes | |
| Pleurer7 Rougir8 Figer9 Rythme cardiaque élevé10 Transpiration11 | Bouche sèche12 Difficultés à avaler13 Contractions musculaires14 Hypervigilance15 Tension16 |
Conséquences | |
| L’individu est plus susceptible : De souffrir d’un trouble mental comorbide (ex : TOC, bipolarité)17,18 D’être perçu comme étant froid, impoli, égoïste et résistant, et donc d’être rejeté par ses coéquipiers19 De souffrir d’un manque de soutien social20 D’avoir des résultats plus faibles dans les huit dimensions du fonctionnement21 De souffrir de pensées suicidaires22 | |
La perception de la gêne et de l’anxiété sociale
Contrairement à la perspective psychologique, la perspective sociologique étudie la gêne d’un point de vue macro/sociétal. De ce point de vue, la gêne est considérée comme une construction sociale23. La perspective sociologique affirme que, compte tenu du fait que la société actuelle valorise les comportements principalement associés à l’extraversion, il est normal que le nombre de personnes s’identifiant comme timides soit à la hausse24. Alors que, de la perspective sociologique, l’anxiété sociale est simplement une forme plus sévère de la timidité, la perspective psychologique classifie souvent l’anxiété sociale comme un trouble ou une maladie mentale qu’il faut traiter25,26. Aux yeux de la perspective sociologique, cela est très problématique puisqu’une telle classification démontre ce qui est considéré comme des comportements acceptables et normaux dans notre société, renforçant donc la stigmatisation qui y est associée27.
Les traitements
Selon la perspective psychologique, une forme de traitement est nécessaire lorsqu’il s’agit d’anxiété sociale. En effet, il semble que la plupart des enfants et des adolescents ne s’en remettent pas naturellement28. Le traitement de l’anxiété sociale peut consister en une sorte d’intervention psychologique telle que la thérapie cognitivo-comportementale, l’intervention psychosociale et la psychothérapie, la médication, ou une combinaison des deux derniers. Il est avancé que les individus qui reçoivent une intervention psychologique ont plus de chances de rémission et que l’intervention psychologique augmente le fonctionnement et la qualité de vie des individus affectés, en plus de réduire la dépression29. Dans l’ensemble, bien que la médication et les traitements psychologiques puissent être utilisés séparément, il a été démontré que les patients recevant des suivis psychologiques sont moins susceptibles de rechuter que ceux qui n’utilisent que la médication30.
Bien qu’elle ne remette pas en cause l’efficacité des différents traitements évoqués ci-dessus, la perspective sociologique estime que le traitement de ce qu’elle considère comme étant de la timidité entraîne des répercussions négatives sur le plan social. En effet, selon cette perspective, la médicalisation de la timidité ainsi que les interventions psychologiques et psychiatriques sont stigmatisantes puisqu’elles renforcent l’idée que la timidité perturbe la société et qu’elle doit donc être cachée, désapprise et traitée31.
La perspective du travail social : un terrain d’entente?
Les perspectives psychologique et sociologique apportent toutes deux des faits et des idées valables qui, lorsque combinées, peuvent aider à trouver une manière différente d’approcher le « problème », ainsi que de nouvelles façons de traiter la timidité et l’anxiété sociale en ayant le meilleur intérêt des personnes concernées à cœur. La perspective du travail social se situe quelque part entre les deux approches, suggérant un terrain d’entente possible.
Le fait que l’anxiété sociale soit considérée comme un trouble préoccupe les travailleurs sociaux. Les professionnels du travail social préfèrent considérer la timidité comme un continuum et perçoivent donc la phobie/anxiété sociale comme une forme plus sévère de timidité plutôt qu’une maladie mentale, telle qu’elle est souvent qualifiée par d’autres professionnels32. Selon cette profession, l’anxiété sociale est l’exemple parfait de la pathologisation croissante des traits de personnalité et montre comment les experts et les patients acceptent souvent la stigmatisation qui y est associée33. Les travailleurs sociaux déplorent que l’anxiété sociale soit classée parmi les troubles mentaux et préfèrent donc parler de l’anxiété sociale comme étant un « problem in living » dans notre culture actuelle, un terme qui correspond mieux à leur point de vue sur la question34. Alors qu’un trouble mental est considéré comme un problème provenant principalement de l’individu affecté, un « problem in living » est plutôt une interaction entre l’individu et l’environnement, ne suggérant donc pas que le problème provient uniquement de l’intérieur de la personne35.
Le point de vue du travail social s’oppose à la médication comme traitement de l’anxiété sociale et d’autres « problems in living », car il estime qu’en plus de leur donner l’impression qu’il y a quelque chose de « mal » avec elles, les personnes qui optent pour ce traitement ne seront peut-être jamais motivées à réduire leur anxiété en apportant des changements cognitifs ou comportementaux36. Les travailleurs sociaux pensent que l’amélioration de la relation entre un individu et son environnement est une meilleure façon d’aborder le « problème »37. Cet objectif peut être atteint grâce à une intervention psychosociale38.
En bref, l’approche sociologique et l’approche du travail social estiment toutes deux que l’anxiété sociale ne devrait pas être classée parmi les maladies mentales et affirment que la médicalisation de la timidité est problématique. Cependant, alors que la perspective sociologique rejette toutes les formes de traitement, les travailleurs sociaux pensent que les traitements psychologiques et psychosociaux peuvent être un bon moyen d’aider les personnes concernées, ce qui supporte la perspective psychologique en défendant qu’il faut faire quelque chose pour aider à soulager l’anxiété.
Pour conclure, s’il est vrai que la société et certains traitements peuvent contribuer à la stigmatisation de la timidité, il ne faut pas oublier qu’elle peut toujours être pénible et handicapante pour les personnes concernées. Il est donc important que les individus dans le besoin aient tout de même accès aux traitements et aux ressources qui peuvent les aider à vivre une meilleure vie, plus heureuse et plus saine. Dans l’ensemble, on peut conclure qu’il est préférable d’adopter une approche interdisciplinaire pour comprendre la timidité et mieux accompagner ceux et celles qui en souffrent.
Références
(1) Yang, L., Zhou, X., Pu, J., Liu, L., Cuijpers, P., Zhang, Y., Zhang, H., Yuan, S., Teng, T., Lu, T., & Xie, P. (2019). Efficacy and acceptability of psychological interventions for social anxiety disorder in children and adolescents: a meta-analysis of randomized controlled trials. European Child & Adolescent Psychiatry, 28(1), 79-89. http://dx.doi.org/10.1007/s00787-018-1189-x
(2) Scott, S. (2004). The shell, the stranger and the competent other: Towards a sociology of shyness. Sociology, 38(1), 121–137. http://www.jstor.org/stable/42856597
(3) Acarturk, C., de Graaf, R., van Straten, A., Have, M. T., & Cuijpers, P. (2008). Social phobia and number of social fears, and their association with comorbidity, health-related quality of life and help seeking: A population-based study. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 43(4), 273-9. http://dx.doi.org/10.1007/s00127-008-0309-1
(4) Walsh, J. (2002). Shyness and social phobia: A social work perspective on a problem in living. Health & Social Work, 27(2), 137-44. http://dx.doi.org/10.1093/hsw/27.2.137
(5) Ibid
(6) Ibid
(7) Yang, L., Zhou, X., Pu, J., Liu, L., Cuijpers, P., Zhang, Y., Zhang, H., Yuan, S., Teng, T., Lu, T., & Xie, P. (2019). Efficacy and acceptability of psychological interventions for social anxiety disorder in children and adolescents: a meta-analysis of randomized controlled trials. European Child & Adolescent Psychiatry, 28(1), 79-89. http://dx.doi.org/10.1007/s00787-018-1189-x
(8) Ibid
(9) Ibid
(10) Walsh, J. (2002). Shyness and social phobia: A social work perspective on a problem in living. Health & Social Work, 27(2), 137-44. http://dx.doi.org/10.1093/hsw/27.2.137
(11) Ibid
(12) Ibid
(13) Ibid
(14) Ibid
(15) Ibid
(16) Ibid
(17) Acarturk, C., de Graaf, R., van Straten, A., Have, M. T., & Cuijpers, P. (2008). Social phobia and number of social fears, and their association with comorbidity, health-related quality of life and help seeking: A population-based study. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 43(4), 273-9. http://dx.doi.org/10.1007/s00127-008-0309-1
(18) Walsh, J. (2002). Shyness and social phobia: A social work perspective on a problem in living. Health & Social Work, 27(2), 137-44. http://dx.doi.org/10.1093/hsw/27.2.137
(19) Scott, S. (2004). The shell, the stranger and the competent other: Towards a sociology of shyness. Sociology, 38(1), 121–137. http://www.jstor.org/stable/42856597
(20) Yang, L., Zhou, X., Pu, J., Liu, L., Cuijpers, P., Zhang, Y., Zhang, H., Yuan, S., Teng, T., Lu, T., & Xie, P. (2019). Efficacy and acceptability of psychological interventions for social anxiety disorder in children and adolescents: a meta-analysis of randomized controlled trials. European Child & Adolescent Psychiatry, 28(1), 79-89. http://dx.doi.org/10.1007/s00787-018-1189-x
(21) Acarturk, C., de Graaf, R., van Straten, A., Have, M. T., & Cuijpers, P. (2008). Social phobia and number of social fears, and their association with comorbidity, health-related quality of life and help seeking: A population-based study. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 43(4), 273-9. http://dx.doi.org/10.1007/s00127-008-0309-1
(22) Yang, L., Zhou, X., Pu, J., Liu, L., Cuijpers, P., Zhang, Y., Zhang, H., Yuan, S., Teng, T., Lu, T., & Xie, P. (2019). Efficacy and acceptability of psychological interventions for social anxiety disorder in children and adolescents: a meta-analysis of randomized controlled trials. European Child & Adolescent Psychiatry, 28(1), 79-89. http://dx.doi.org/10.1007/s00787-018-1189-x
(23) Scott, S. (2006). The medicalisation of shyness: From social misfits to social fitness. Sociology of Health & Illness, 28(2), 133-153. http://dx.doi.org/10.1111/j.1467-9566.2006.00485.x
(24) Ibid
(25) Acarturk, C., de Graaf, R., van Straten, A., Have, M. T., & Cuijpers, P. (2008). Social phobia and number of social fears, and their association with comorbidity, health-related quality of life and help seeking: A population-based study. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 43(4), 273-9. http://dx.doi.org/10.1007/s00127-008-0309-1
(26) Walsh, J. (2002). Shyness and social phobia: A social work perspective on a problem in living. Health & Social Work, 27(2), 137-44. http://dx.doi.org/10.1093/hsw/27.2.137
(27) Scott, S. (2006). The medicalisation of shyness: From social misfits to social fitness. Sociology of Health & Illness, 28(2), 133-153. http://dx.doi.org/10.1111/j.1467-9566.2006.00485.x
(28) Yang, L., Zhou, X., Pu, J., Liu, L., Cuijpers, P., Zhang, Y., Zhang, H., Yuan, S., Teng, T., Lu, T., & Xie, P. (2019). Efficacy and acceptability of psychological interventions for social anxiety disorder in children and adolescents: a meta-analysis of randomized controlled trials. European Child & Adolescent Psychiatry, 28(1), 79-89. http://dx.doi.org/10.1007/s00787-018-1189-x
(29) Ibid
(30) Walsh, J. (2002). Shyness and social phobia: A social work perspective on a problem in living. Health & Social Work, 27(2), 137-44. http://dx.doi.org/10.1093/hsw/27.2.137
(31) Scott, S. (2006). The medicalisation of shyness: From social misfits to social fitness. Sociology of Health & Illness, 28(2), 133-153. http://dx.doi.org/10.1111/j.1467-9566.2006.00485.x
(32) Walsh, J. (2002). Shyness and social phobia: A social work perspective on a problem in living. Health & Social Work, 27(2), 137-44. http://dx.doi.org/10.1093/hsw/27.2.137
(33) Ibid
(34) Ibid
(35) Ibid
(36) Ibid
(37) Ibid
(38) Ibid
Corrigé par Émilie Picard, Rosalie Villeneuve et Mélanie Pauzé
Révisé par Florence Grenier
Illustration originale par Denitsa Marinova
