Par Wissam Boughari
Je tiens à remercier le professeur Marc-André Bédard de m’avoir accordé un entretien dans le cadre de la rédaction de cet article
Saviez-vous que les numéros de téléphones ne comportaient à l’origine que sept chiffres, avant que l’indice régional de trois chiffres ne soit ajouté, parce que l’empan moyen de la mémoire humaine est d’environ sept éléments à la fois? Oui, oui : le même « empan » étudié dans nos cours de cognition. Saviez-vous aussi que près de 80 % des accidents aériens sont attribués à des erreurs humaines de nature cognitive ou émotionnelle? Ou encore que l’application des principes relationnels et cognitifs, tels que la communication non verbale ou la conscientisation du geste, a fait chuter radicalement les erreurs médicales en salle d’opération? Ou encore que la simple couleur jaune-lime des ambulances permet un meilleur temps de réaction chez les automobilistes, car elle est la plus visible dans le spectre de la lumière, toutes conditions météorologiques confondues, en plus d’augmenter la vigilance envers les véhicules d’urgence? En fait, bien des cours de notre cursus de psychologie sont de mèche avec ces exemples de la vie courante. Cognition. Perception. Processus relationnels. Motivation. Émotion. Ces exemples ne viennent pas d’un département d’ingénierie, de médecine ou de design industriel : ils sont le fruit de la psychologie appliquée à son plein potentiel. Une psychologie qui n’est pas confinée à la relation d’aide ni au divan du psychothérapeute, mais qui puise dans ses connaissances sur la quantification de variables psychologiques pour transformer le monde.
C’est pourquoi, dès l’automne 2026, l’UQAM offrira une nouvelle maîtrise professionnelle en sciences psychologiques appliquées, une première au Québec. Trois domaines d’applications seront offerts :
● Psychologie du commerce et de la consommation
● Psychologie de l’ingénierie et des facteurs humains
● Psychologie de la santé et des services sociaux
On pourrait penser, à tort, que le programme « sort des sentiers battus », mais l’expression serait mal utilisée, puisque ces domaines ne sont, en réalité, pas du tout éloignés de la science derrière la psychologie. Ce sont tout simplement des sentiers sous-exploités. Un grand nombre de personnes, incluant même des étudiants en psychologie, ont du mal à percevoir l’aspect psychologique dans les exemples mentionnés plus haut, car le concept de psychologie est profondément associé à l’application clinique ou la relation d’aide. Or, un nouvel horizon vient redessiner la psychologie comme la science du comportement et des processus mentaux, telle qu’elle est réellement. Cette science se manifeste dans nos décisions quotidiennes, nos interactions avec des interfaces technologiques, nos réactions face au danger, nos choix de consommation, nos erreurs de jugement.
Les entreprises cherchent activement, parfois sans le savoir, des profils comme ceux des gradués de ce programme, soit des experts en sciences cognitives et comportementales. À l’extérieur du Québec, ces fonctions professionnelles existent déjà, sous diverses appellations selon les milieux, mais se regroupant souvent sous le titre de behavioural scientist. La formation en psychologie regroupe exactement les compétences recherchées par les employeurs, comme l’analyse, l’interprétation et la prédiction du comportement dans toute sa complexité. On retrouve ces connaissances en méthodes de recherche, en psychométrie, en cognition, en perception, en statistique, en analyse, en opérationnalisation et en rigueur scientifique.
Pourtant, dans bien des milieux, comme en construction automobile et en santé publique, lorsqu’on tente de convaincre la population de porter un masque sanitaire durant une épidémie ou en conception de produit ou de service adapté aux utilisateurs, ce sont des professionnels dont la formation n’est pas centrée sur le comportement humain qui s’occupent de l’intégration de leurs idées auprès de la population. Et si nous faisions l’inverse? Et si nous concevions les milieux, les services ou les appareils adaptés aux humains, plutôt que d’imposer aux humains qu’ils s’adaptent à ceux-ci?
C’est exactement dans cette optique que le professeur et chercheur Marc-André Bédard a imaginé cette nouvelle maîtrise. Après cinq longues années de démarches, d’analyses, de discussions et de travail administratif, il a réussi à concrétiser un programme qui ouvre des portes jusque-là absentes. Son ambition dépasse largement l’idée d’offrir un autre choix d’études. Il s’agit de donner à la psychologie la place qu’elle mérite comme science fondamentale dans le progrès technologique, industriel et social. Ce programme ne pourra qu’enrichir le domaine d’application de la psychologie au Québec.
Lors d’un entretien avec le professeur Bédard, il m’a raconté comment, au fil de sa carrière en entreprise, il a pu témoigner de la pluridisciplinarité et de l’aisance dans des projets variés de ses collègues formés en psychologie, mais dont personne ne soupçonnait la formation. Il a également insisté sur l’importance de prévenir les erreurs, plutôt que d’attendre qu’elles se produisent avant d’effectuer les améliorations nécessaires dans les avions, les hôpitaux, les programmes sociaux, les lieux de travail et les transports.
Un second point qui a poussé le professeur Bédard à créer ce programme est la « quantité monstre » d’étudiants aux dossiers impeccables qui se voient obligés de repenser leurs objectifs de carrière et de se réorienter, faute de places au niveau doctoral. Dans ce contexte, la maîtrise professionnelle devient une voie nécessaire pour tout étudiant souhaitant mettre à profit ses connaissances en psychologie.
Chacune des concentrations a pour but d’optimiser un produit, un service, un environnement ou un système, grâce à une meilleure compréhension du comportement humain. Un stage en milieu professionnel, privé ou public, viendra finaliser le parcours et consistera en un véritable projet professionnel d’analyse, d’expérimentation et de recommandations stratégiques dans un milieu déjà accrédité.
Les diplômés pourront travailler au gouvernement, en entreprise, en santé ou encore comme consultants. Ils pourront analyser l’expérience utilisateur (UX) d’un programme hospitalier, optimiser le tableau de bord d’un avion, concevoir une interface, interpréter des données comportementales, ou contribuer à la réflexion autour de la déconsommation, un enjeu sociétal grandissant. Le but est de recommander des solutions à des difficultés rencontrées et qui pourraient être évitées, si l’on incluait la variable “humain” dans les projets. Durant la maîtrise, dans chaque concentration, les étudiants seront introduits brièvement aux connaissances actuelles de leur champ d’intérêt afin d’intégrer le milieu professionnel avec une base commune à leurs collègues de différentes formations. Le programme mettra également l’accent sur un élément crucial, soit la capacité de vulgariser, de communiquer et de collaborer dans des projets d’envergure impliquant un grand nombre d’experts de divers domaines. Comme le rappelle le professeur Bédard, les étudiants devront connaître leurs forces et « être conscients de leurs compétences ».
Il s’agit d’un programme d’études de deux ans, offert à temps plein uniquement, avec un stage obligatoire durant la dernière session. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 1er mai 2026, se font entièrement en ligne et nécessitent un professeur accrédité au programme pour superviser le volet scientifique du stage qui se fera en 2e année. C’est la direction du programme qui procède à l’assignation d’un professeur pour chaque étudiant et ceci ne se fera qu’à la deuxième année.
Au fond, cette nouvelle maîtrise ne fait pas qu’ajouter un programme à la liste des cycles supérieurs. Elle ouvre un horizon. Elle révèle un potentiel. Elle redéfinit ce que peut être la psychologie au Québec, un moment historique pour l’université, et une opportunité immense pour les étudiantes et étudiants en psychologie.
L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.
Corrigé par Émilie Bertrand, Amélie Larrivée, Isaac Rodier et Veronika Marchenko
Révisé par Marc-André Bédard et François-Xavier Michaud
Illustration originale de l’Université du Québec à Montréal
