Soins psychologiques : le luxe de notre époque

Par Wissam Boughari

Bien que l’importance de la santé mentale soit de plus en plus reconnue, l’accès aux soins psychologiques demeure difficile, dispendieux et restreint. La vision réductionniste selon laquelle la psychothérapie ne sert qu’à partager ses émotions sans portée réelle néglige les nombreuses preuves scientifiques qui appuient l’efficacité des interventions psychologiques pour traiter des troubles courants comme l’anxiété généralisée, les troubles de panique ou la dépression.

Cette négligence se reflète jusque dans les politiques publiques. Au Québec, les temps d’attente pour obtenir des services psychologiques dans le réseau public peuvent atteindre un délai de deux ans1. Une situation préoccupante, surtout dans notre contexte post-pandémique, où l’isolement persiste encore comme une ombre de ce sombre passé. Or, l’isolement constitue un facteur de risque important pour certaines psychopathologies, dont les troubles neurocognitifs associés au vieillissement, ce qui veut dire que l’absence de traitement aujourd’hui peut aussi augmenter les coûts pour la prise en charge des personnes dans le futur.

L’offre se fait rare alors que la demande gronde

Selon Statistique Canada, la proportion de personnes ayant un trouble d’anxiété généralisée a doublé entre 2012 et 2022, notamment chez les jeunes. Les demandes d’aide psychologique ont particulièrement augmenté à partir de 2020, suivant une courbe similaire à celle de l’évolution de la pandémie. Dans l’impossibilité d’attendre des mois, voire des années, plusieurs se tournent vers le privé, où les frais sont parfois inabordables. Bien que certaines assurances couvrent une partie des coûts, elles limitent généralement le nombre de séances, ce qui interrompt souvent la démarche thérapeutique1. En effet, bien que les thérapies à court terme aient leur lot d’avantages, certains patients présentent des problématiques qui nécessitent plus de séances avant d’atteindre le niveau de bien-être escompté, ou simplement pour être fonctionnels en société. Tel que l’a mentionné le rapport présenté en 2016 au Commissaire à la santé et au bien-être, « pour une partie importante de la population, ce n’est pas le besoin de santé qui détermine l’accès, mais sa capacité de payer. »  

Des retombées insoupçonnées 

Les conséquences sont nombreuses à la fois pour les individus et pour la société. L’Organisation mondiale de la santé définit la santé mentale comme un état de bien-être permettant à une personne de se réaliser, de contribuer à sa communauté et d’accomplir un travail productif. Sans soutien adéquat, plusieurs peinent à fonctionner au quotidien et l’impact se fait sentir dans diverses sphères de la société. Au travail, on observe une hausse de l’absentéisme, des congés prolongés et une baisse de productivité liée à des troubles comme l’épuisement professionnel. Sur le plan social, le manque de soins contribue à faire augmenter le nombre de personnes en situation d’itinérance.   

Comme il manque de spécialistes en santé mentale pour traiter toutes les demandes, les médecins de famille sont souvent les premiers à gérer les cas de dépression et d’anxiété, ce qui accentue la pression mise sur le réseau de la santé, qui est déjà surchargé. Faute de ressources, les antidépresseurs deviennent la solution par défaut, alors que la thérapie, seule ou accompagnée d’un traitement pharmacologique, est souvent nécessaire pour un rétablissement adéquat2.  Depuis 2020, la prescription d’antidépresseurs a bondi de 20 % au Québec. En 2022, 18,3% de la population canadienne (plus de 5 millions de canadiens et canadiennes) âgée de plus de 15 ans répondait aux critères d’au moins un trouble parmi les troubles de l’humeur, les troubles d’anxiété ou les troubles liés à la consommation de substances. Presque la moitié (48,8%) ont consulté un spécialiste de la santé, mais moins d’un tiers de ces spécialistes étaient spécialisés en santé mentale9. La pression créée par la forte demande d’aide est donc souvent partagée entre les spécialistes de la santé mentale et les infirmières, médecins de famille, travailleurs sociaux, etc. 

Quelques avenues possibles

Différentes solutions s’offrent aux gouvernements pour traiter l’épidémie des troubles de santé mentale, mais la priorité est de repenser le financement de ces soins. Le Canada consacre environ 7,2 % de son budget annuel de santé à la santé mentale1, alors que l’Angleterre y consacre près de 18 %. Pourtant, il est évident que d’investir dans les services de santé mentale a un impact allant bien au-delà de l’individu : réduction des coûts à long terme, amélioration de la qualité de vie, diminution de la pression sur le réseau médical et augmentation de la productivité des employés. Il devient difficile de justifier l’inaction.

Plusieurs initiatives ont vu le jour pendant la pandémie dans le but de faciliter l’accès aux soins de santé mentale. Par exemple, en Ontario, un projet pilote a testé l’intégration de psychologues dans les groupes de médecine familiale, afin d’éviter de reléguer des troubles liés à la santé mentale à des médecins généralistes. Plusieurs plateformes de thérapie en ligne se sont également adaptées à la demande en offrant plus de services.

Pendant que le gouvernement fait des promesses d’investissements sans emmener quelconques changements, des milliers de personnes continuent d’attendre, sans recevoir l’aide dont elles ont besoin. Il est temps que notre société reconnaisse cette réalité et investisse en conséquence, non seulement pour les individus qui souffrent, mais pour la cohésion et la santé de toute la communauté.

Une vision dépassée

Certains peuvent penser que les troubles comme l’anxiété et la dépression sont quelque chose de normal à porter tous les jours sur ses épaules et que l’on peut surmonter seul si on en a réellement la volonté.  Toutefois, cette perception contribue à la stigmatisation, décourage la démarche thérapeutique, et aggrave l’isolement des personnes qui souffrent en silence. Toutefois, ce n’est pas normal d’être constamment stressé, épuisé ou d’avoir des crises de panique. Ce n’est pas normal que la moitié des personnes ayant un trouble mental ne reçoive aucun suivi adapté. Ce n’est pas normal non plus que, pour bien des gens, le facteur qui détermine s’ils peuvent se faire soigner soit leur situation financière et non leur état de santé. Il est grand temps que l’importance des soins psychologiques soit reconnue et que les investissements nécessaires soient faits.

On ne laisserait jamais quelqu’un avec un bras cassé attendre un an avant de voir un médecin.  Alors, pourquoi est-ce encore acceptable pour la santé mentale ?

L’accès aux services de santé mentale n’est pas un luxe, c’est un besoin fondamental auquel tous devraient avoir accès. 


1.Le coût réel des services de psychothérapie | Zone économie. (s. d.). Récupéré le 4 avril 2025 de https://ici.radio-canada.ca/rdi/zone-economie/site/segments/reportage/207252/rdi-economie-entrevue-avec-andree-anne-st-arnaud

2.Fleury, M-J. Grenier, G. (2012) ÉTAT DE SITUATION SUR LA SANTÉ MENTALE AU QUÉBEC ET RÉPONSE DU SYSTÈME DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX. https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2012/SanteMentale/CSBE_EtatSituation_SanteMentale_2012.pdf

3.Facteurs de risque de troubles neurocognitifs. (s. d.). Société Alzheimer du Canada. Récupéré le 4 avril 2025 de https://alzheimer.ca/fr/au-sujet-des-troubles-neurocognitifs/comment-reduire-le-risque-dun-trouble-neurocognitif/facteurs

    4.Government of Canada, S. C. (2023, 22 septembre). Le Quotidien — Étude : Troubles mentaux et accès aux soins de santé mentale. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230922/dq230922b-fra.htm

    5.ICI.Radio-Canada.ca, Z. S.-. (2021, 20 février). La pandémie a fait augmenter la prise d’antidépresseurs au Québec. Radio-Canada. Radio-Canada.ca. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1772170/hausse-consommation-antidepresseurs-etude-pharmaciens-proprietaires 

    6.Cavaliere, R. (s. d.). La couverture publique des services en santé et en services sociaux : pour l’équité d’accès à la psychothérapie – Mémoire présenté au Commissaire à la santé et au bien-être. https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2016/PanierServices_Memoires_Recus/CAP.pdf

    7.Santé mentale : renforcer notre action. (s. d.). Récupéré le 4 avril 2025 de https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response

    8.Vasiliadis, H.-M., Dezetter, A., Lesage, A. et Drapeau, M. (2015). Améliorer l’accès aux psychothérapies au Québec et au Canada : réflexions et expériences de pays francophones. Santé mentale au Québec, 40(4), 15-30. https://doi.org/10.7202/1036090ar

      9.Gouvernement du Canada, S. C. (2023, 22 septembre). Troubles mentaux et accès aux soins de santé mentale. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-006-x/2023001/article/00011-fra.htm

      10.Lionel Carmant promet d’autres investissements en santé mentale | Radio-Canada. (s. d.). Récupéré le 4 avril 2025 de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1745660/quebec-solidaire-nadeau-dubois-ministre-covid

      11.Vasiliadis, H.-M. et Dezetter, A. (2016). Les programmes de prise en charge financière des psychothérapies en Australie et en Angleterre. Santé mentale au Québec, 40(4), 101-118. https://doi.org/10.7202/1036096ar

        12.Grenier, J., Chomienne, M.-H. et Gaboury, I. (2016). Plaidoyer pour l’inclusion de psychologues dans les équipes de santé familiale en Ontario, Canada. Santé mentale au Québec, 40(4), 79-99. https://doi.org/10.7202/1036095ar


        Corrigé par François-Xavier Michaud, Florence Pilote et Azélie Laflamme

        Révisé par  Alexandra Lord-Proulx

        Illustration originale par Marie St-Jean