L’amour romantique contre l’amour de son corps : Les sites de rencontre et leurs effets sur l’image corporelle des jeunes femmes

Par François-Xavier Michaud

Depuis l’apparition de Match.com en 1995, les sites de rencontre ont grandi en popularité et sont aujourd’hui pour un grand nombre de personnes le moyen le plus efficace d’entrer en contact avec de nouveaux partenaires romantiques potentiels1. En cette saison de l’amour, il peut être tentant d’utiliser les applications de rencontre afin de trouver votre prochaine conquête amoureuse : cependant, il ne faut pas sous-estimer les effets nocifs que peuvent avoir ces applications sur notre santé mentale. Dans le cadre de cet article, je me concentrerai particulièrement sur le concept de l’image corporelle, ainsi que sur les théories et les recherches empiriques qui tentent d’expliquer les effets d’une utilisation problématique des sites de rencontre sur l’image corporelle des jeunes femmes.

L’image corporelle et l’objectification. Le concept de l’image corporelle fait référence aux représentations mentales, perceptions, pensées et sentiments qui peuvent habiter une personne, en rapport avec son propre corps et son apparence physique2. L’image corporelle peut être positive ou négative : l’image corporelle positive fait référence à un sentiment de satisfaction à l’égard de son corps, tandis qu’une image corporelle négative fait allusion au fait de se sentir insatisfait par rapport à son apparence physique2. Plusieurs chercheurs ont tenté d’expliquer les effets des sites de rencontre sur l’image corporelle à l’aide de la théorie de l’objectification et de l’auto-objectification de Fredrickson et Roberts5. Celle-ci stipule que «  plusieurs femmes sont sexualisées et traitées comme des objets valorisés pour leur utilité par les autres » (Szymanski et collaborateurs, 2011, p. 7-8, traduction libre) dans la société. Effectivement, on peut parler d’objectification sexuelle lorsque le corps de la femme est séparé complètement de sa personne fondamentale, et qu’elle devient perçue par son environnement comme un objet dont le but premier est de satisfaire les désirs sexuels du genre masculin6. La théorie stipule également que l’objectification sexuelle se manifeste de deux manières : de manière directe, soit en relation avec des évènements vécus, ainsi que de manière indirecte, soit à travers l’internalisation par les femmes d’expériences d’objectification sexuelle, ce que l’on appelle l’auto-objectification5,6. L’article de Szymanski et collaborateurs (2011) mentionne également que l’objectification sexuelle est fortement associée à l’apparition de troubles mentaux qui affectent plus fréquemment les femmes que les hommes, tels que les troubles alimentaires et les dysfonctions sexuelles de toutes sortes. L’utilisation fréquente de sites de rencontre, où l’apparence physique joue un rôle primordial dans le choix de nouveaux partenaires romantiques, peut alors mener à des niveaux d’auto-objectification élevés pour les femmes, qui développent dès lors une vision plus critique de leur apparence physique, en plus de remettre en question leur valeur personnelle5.

Ce qu’en dit la recherche. Plusieurs recherches empiriques ont démontré que l’approche du balayage des profils et du « glisse à droite », d’abord associée à Tinder, mais qui est aujourd’hui très courante sur diverses applications de rencontre, exacerbe les problèmes d’image corporelle pour les utilisateurs5. En effet, l’étude de Strubel et Petrie5, menée auprès de plus de 1100 américains, a démontré que les utilisateurs de Tinder ont tendance à être moins satisfaits à l’égard de leur apparence physique, à vivre plus de honte par rapport à leur apparence et à comparer davantage leur corps et leur visage avec ceux des autres par rapport aux non-utilisateurs de Tinder. De plus, l’analyse d’une quarantaine d’études a rapporté une corrélation positive notoire entre l’utilisation de sites de rencontres et une grande quantité de problèmes liés à l’image corporelle2. Strubel et Petrie (2017) proposent une explication à ce phénomène, stipulant que les réseaux sociaux perpétuent par leur fonctionnement des idéaux de beauté inatteignables et irréalistes qui peuvent pousser les utilisateurs à publier des photos qui augmentent la possibilité de susciter l’attrait des autres. « Au fil du temps, ces comportements de promotion de soi et gestion de l’impression que l’on offre de soi, surtout lorsqu’ils ne sont pas validés par autrui (ici, lorsqu’on est balayé vers la gauche par la personne qui nous intéresse5), peuvent aggraver les niveaux d’auto-objectification et d’insatisfaction à l’égard du corps, et diminuer l’estime de soi » (Strubel et Petrie, 2017, p. 37, traduction libre). De plus, une étude réalisée en 2019 auprès de 1769 adultes a démontré qu’il existe une forte corrélation entre l’utilisation des sites de rencontre et les troubles alimentaires, ainsi que les comportements nocifs de contrôle du poids7. Certains comportements malsains incluent le vomissement intentionnel, l’utilisation de pilules favorisant la perte de poids, la privation de nourriture, l’utilisation de laxatifs et l’entraînement physique excessif, entre autres2. Dans ce cas-ci, il est raisonnable d’assumer que les troubles alimentaires et les comportements inadaptés par rapport au contrôle du poids sont aussi, en grande partie, attribuables aux standards de beauté inatteignables qui sont présenté fréquemment sur les sites de rencontre et au phénomène d’auto-objectification chez ses utilisateurs féminins.

Certes, les sites de rencontre représentent une manière rapide et efficace de rencontrer de nouveaux prétendant(s), mais il ne faut tout de même pas négliger les effets négatifs qu’ils peuvent avoir sur la santé mentale, et ce, particulièrement en ce qui concerne l’image corporelle et l’estime de soi. Les standards de beauté irréalistes perpétrés par ces sites et intériorisés par les utilisateurs, ainsi que la tendance qu’ont ces applications à mettre l’accent sur l’apparence physique plutôt que sur la personnalité contribuent à exacerber l’attitude problématique que peuvent avoir les utilisateurs envers leur propre corps. Il apparaît donc de la plus haute importance d’éduquer les jeunes femmes au sujet des effets négatifs qu’une utilisation problématique de ces réseaux sociaux peut avoir sur leur santé mentale. De plus, il importe de se poser la question : comment pourrait-on modifier la structure des sites de rencontre tels Tinder pour éviter d’accorder autant d’importance à l’apparence physique et, par le fait même, prévenir la propagation de standards de beauté démesurés qui endommagent le bien-être psychologique?


1Anderson, M., Vogels, E.A. et Turner, E. (2020). The Virtues and Downsides of Online Dating. Pew Research Center. https://www.pewresearch.org/internet/2020/02/06/the-virtues-and-downsides-of-online-datin/

2Bowman, Z., Drummond, M., Church, J., Kay, J. et Petersen, J.M. (2025). Dating apps and

their relationship with body image, mental health and wellbeing: A systematic review. Computers in Human Behaviour, 165(108515), p. 1-23. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0747563224003832#:~:text=Number%20of%20dating%20apps%20used,with%20internalisation%20and%20body%20surveillance.&text=Dating%20app%20users%20had%20higher,depressive%20symptoms%20than%20non%2Dusers

3Holtzhausen, N., Fitzgerald, K., Thakur, I., Ashley, J., Rolfe, M. et Winona, S. (2020). Swipe-based dating applications use and its association with mental health outcomes: a cross-sectional study. BMC Psychology, 8(22). https://bmcpsychology.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40359-020-0373-1

4Schaefer, L.M., Burke, N.L., Calogero, R.M., Menzel, J.E., Krawczyk, R. et Thompson, J.K. (2017). Self-objectification, body shame, and disordered eating: Testing a core mediational model of objectification theory among White, Black, and Hispanic women. Body Image, 24(1), p. 5-12. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5869145/

5Strubel, J. et Petrie, T.A. (2017). Love me Tinder: Body image and psychosocial functioning among men and women. Body Image, 21(1), p. 34-38. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1740144516303254

6Szymanski, D. M., Moffitt, L. B. et Carr, E. R. (2011). Sexual Objectification of       Women:Advances to Theory and Research. The Counseling Psychologist, 39(1) p. 6-38. https://www.apa.org/education-career/ce/sexual-objectification.pdf

7Tran, A., Suharlim, C., Mattie, H., Davison, K., Agénor, M., et Austin, S.B. (2019). Dating app use and unhealthy weight control behaviors among a sample of U.S. adults: a cross-sectional study. Journal of Eating Disorders, 7(16) p. 1-12. https://jeatdisord.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40337-019-0244-


Corrigé par Jade Léveillé

Révisé par  Alexandra Lord-Proulx

Illustration originale par Laurie-Anne Vidori