Par Wissam Boughari
Le stress peut être vu comme une créature monstrueuse à éviter, mais une certaine dose est en réalité nécessaire pour notre survie. Le problème vient du stress excessif, celui qui s’empare de nos moyens cognitifs au point où notre corps n’écoute plus que lui. Pourquoi certaines personnes réagissent-elles plus intensément au stress que d’autres ? Et surtout, est-il possible de reprendre le contrôle de ses pensées?
Imaginez Joanie qui met les pieds dans un café pour la première fois, puis, à l’idée de devoir parler à un barista inconnu, elle fait demi-tour et ressort brusquement, sans réfléchir. Ici, le cerveau de Joanie a interprété faussement le contact avec le barista comme un stresseur absolu, soit une situation comparable à un danger pour sa survie, de la même façon dont le serait un ours à sa poursuite.
Le stress est une pression physique ou psychologique, comme une blessure ou la peur, qui perturbe le fonctionnement normal du corps. Il entraîne des symptômes incontrôlés et des comportements parfois excessifs, comme lorsque Joanie quitte le café pour éviter l’inconnu aucunement menaçant derrière le comptoir. Néanmoins, le stress n’a pas pour but de nuire. Au contraire, il alerte le corps qu’une adaptation est nécessaire, en activant des systèmes hormonaux1. Ces hormones, messagers chimiques voyageant dans le sang, signalent à l’organisme les changements requis pour répondre à des besoins vitaux, comme la faim ou la protection contre un danger2. Lorsque la réponse est exagérée, comme chez Joanie, ces signaux deviennent inefficaces, entraînant de la détresse psychologique.
Quand notre réaction devient-elle problématique?
La fuite devant un chien balèze lancé à notre poursuite représente une réponse adaptée au stress. Dans une situation stressante comme celle-ci, deux grands systèmes hormonaux, c’est-à-dire ceux qui libèrent des hormones, sont enclenchés simultanément : l’axe sympathique surrénalien (SS), qui libère les catécholamines, dont l’adrénaline, et l’axe hypothalamo-pituito-surrénalien (HPS), qui libère les corticoïdes, dont le cortisol2. Ensemble, ils stimulent la réponse de « fight or flight », soit l’attaque ou la fuite du danger qu’est le stresseur, proportionnellement à l’ampleur du danger perçu. Dans l’exemple de la fuite devant le chien, la réponse est adaptée car elle protège bel et bien la personne de blessures potentielles. Toutefois, la réponse de fuite de Joanie démontre une réponse inadaptée au stress, car la dangerosité réelle du stresseur, le barista, ne corrèle pas avec l’ampleur de sa réponse. Lorsque Joanie prend la fuite, c’est son cerveau qui amplifie énormément le signal d’inconfort lié à l’idée de parler au barista, et donc, qui affecte son jugement quant à la dangerosité réelle de ce dernier.
Dans son cas, Joanie pourrait recevoir le conseil bienveillant, mais peu informé : « Ne stresse pas pour ça! », mais ce n’est pas si simple pour elle. En réalité, le danger qu’elle perçoit dans la situation vient peut-être d’une expérience passée qui l’a gênée et que son cerveau a enregistré par erreur comme une situation où sa vie entière était en jeu, ou bien d’un gène dans son ADN qui produit une réponse similaire. Dans les deux cas, la réponse de Joanie lui nuit.
Les dysrégulations prennent le contrôle du cerveau
Imaginons que le cerveau de Joanie est comparable à un avion avec un pilote automatique. Face à une situation stressante, le pilote automatique contrôle Joanie et réagit rapidement, mais il est très peu flexible dans ses réponses. Une personne qui vit le stress de façon adaptée possède un pilote automatique hautement performant. Sa performance lui vient soit de sa programmation, ce qui représente les gènes chez l’humain, soit de sa capacité à apprendre de ses erreurs précédentes, donc des expériences passées chez l’humain3. D’autres personnes, comme Joanie, ont un pilote automatique qui appuie trop fort, trop souvent, trop longtemps ou trop peu sur certains boutons, ou qui n’appuie pas sur les bons boutons. Toutes ces possibilités causent des dérèglements dans les comportements de l’avion, ou plutôt, de la personne.
Zoom sur le cerveau
Des études portées sur des personnes ayant un trouble de stress post-traumatique (TSPT) démontrent que, face à un stresseur, certaines hormones sont libérées par l’axe HPS à trop forte dose, comme la corticolibérine, dont la concentration élevée corrèle fortement avec l’apparition des symptômes du TSPT. D’autres hormones, en contrepartie, peuvent être libérées en trop faible quantité, comme le cortisol. L’ensemble des dysrégulations possibles est l’équivalent d’un pilote automatique qui appuie de manière aléatoire sur les commandes du tableau de bord, ce qui peut endommager l’avion en entier.
Pouvons-nous reprendre le contrôle?
Pour un observateur externe, ces dysrégulations peuvent sembler simples à maîtriser. Il ne considère pas qu’une telle perte de contrôle observable puisse provenir d’une altération profonde et invisible dans le système qui impose une réaction, plus rapidement que nous réfléchissons. L’adaptation au stress est un automatisme enraciné en nous programmé par nos gènes, les différences structurelles individuelles et nos expériences de vie passées. Modifier les automatismes auxquels le cerveau est habitué n’est pas chose simple, mais avec le temps et les outils adéquats, c’est possible. Il existe des médicaments2 et des thérapies qui visent à changer les réponses inadaptées au stress.
L’équipe de recherche de Graziella Di Cristo de l’Université de Montréal, avec qui j’ai eu la chance d’échanger dans le cadre de la rédaction de cet article, a récemment découvert une méthode révolutionnaire permettant de remodeler, en partie, les automatismes du cerveau. Leur découverte ouvre la possibilité de rendre le cerveau plus malléable dans ses réactions face au stress en modifiant la façon dont les structures dans le cerveau interagissent entre elles4. Pour revenir à l’analogie de l’avion, l’équipe propose de modifier la programmation du pilote automatique afin de le rendre plus performant.
Enfin, le paradoxe entre l’utilité et la dangerosité du stress mène à se demander si, parfois, le stress ne vient pas nous avertir d’un danger, mais plutôt d’une défaillance au niveau de notre fonctionnement interne.
Références
1. Historique du stress [Internet]. CESH / CSHS. [cité 10 nov 2024]. Disponible sur: https://stresshumain.ca/le-stress/quest-ce-que-le-stress/historique-du-stress/
2.Lawrence S, Scofield RH. Post traumatic stress disorder associated hypothalamic-pituitary-adrenal axis dysregulation and physical illness. Brain, Behavior, & Immunity – Health. 1 nov 2024;41:100849.
3.Adamec R, Hebert M, Blundell J, Mervis RF. Dendritic morphology of amygdala and hippocampal neurons in more and less predator stress responsive rats and more and less spontaneously anxious handled controls. Behavioural Brain Research. janv 2012;226(1):133-46.
4.Lavertu-Jolin M, Chattopadhyaya B, Chehrazi P, Carrier D, Wünnemann F, Leclerc S, et al. Acan downregulation in parvalbumin GABAergic cells reduces spontaneous recovery of fear memories. Mol Psychiatry. juill 2023;28(7):2946-63.
Corrigé par Jade Léveillé
Révisé par Pénélope Caron
Illustration originale par Regina Roynourry
