Par Audrey-Rose Turgeon
Voit-on vraiment les choses comme elles sont? Qu’est-ce qui nous laisse croire que nos perceptions sensorielles sont objectives et nous rendent la réalité telle qu’elle est?
Pour illustrer ces propos, prenons en exemple cette illusion d’optique:
Cela va de soi d’affirmer que, sur l’image de gauche, les carrés A et B ne sont pas de la même teinte de gris. Pourtant, comme l’image de droite le démontre, ils le sont! Bien que cette affirmation semble improbable, vous pouvez faire l’expérience autant que vous voulez. En supprimant l’espace entre les cases A et B, on remarque effectivement qu’elles sont de la même teinte. Ceci est dû à notre cerveau, qui traite les informations de manière à nous rendre perceptible seulement ce qui semble le plus probable et le plus utile. Dans ce cas-ci, bien que les deux cases soient réellement de la même teinte, le cerveau prend en considération la présence de l’ombre projetée sur la case. Le cerveau traduit qu’un objet placé dans l’ombre, dans un contexte à éclairage égal aux autres objets, doit forcément être plus clair. Aussi, la juxtaposition d’un objet sombre par rapport à un objet clair va généralement donner une apparence plus claire au second objet, ceci résultant d’un processus appelé en psychologie « l’inhibition latérale ». 1
Selon les théories du traitement prédictif, la perception serait vue comme un processus d’échanges réciproques continus entre les prédictions sensorielles (bottom-up) et les prédictions perceptuelles (top-down), afin de créer la meilleure estimation possible de ce qui a causé les signaux sensoriels. Ainsi, ces signaux et nos représentations basées sur notre expérience, s’interévaluent constamment afin de renvoyer à la conscience la perception la plus probable de la réalité. Ainsi, contrairement à nos impressions, plutôt que de détecter passivement notre réalité, nous sommes perpétuellement en train de la créer.2
Selon le neuroscientifique Anil Seth, nous « hallucinons » en permanence. Simplement, quand nous nous entendons de façon unanime sur le contenu de ces hallucinations, nous considérons que c’est la réalité. En d’autres mots, la perception serait une forme d’hallucination contrôlée, alors qu’une hallucination serait une forme de perception incontrôlée. Les deux sont à l’origine de processus cognitifs similaires, mais dans les hallucinations, le cerveau n’est plus en mesure de définir la meilleure prédiction de ce que les sens lui renvoient. 3
Toujours selon une approche de traitement prédictif, les hallucinations naîtraient d’un déséquilibre entre les processus bottom-up et top-down, causant une inférence atypique. Selon certains chercheurs, les hallucinations liées à la consommation de substances psychédéliques seraient dues à une baisse des prédictions perceptuelles, causant une plus grande considération pour les prédictions sensorielles sur la perception consciente. Certaines informations sensorielles seraient donc « libérées » à tort. 2
D’autres types de modèles cognitifs visant à expliquer les hallucinations, comme les modèles réflexifs, prennent également en compte les jugements d’attribution. Ceux-ci illustrent la difficulté de personnes atteintes de conditions sujettes aux hallucinations visuelles, telles que la schizophrénie, à rassembler les informations données par une situation afin d’en construire une représentation cohérente. Les patients se sentiraient moins à l’origine de leurs souvenirs et ils auraient donc plus de difficulté à reconnaître leurs propres actions. Fait intéressant, cette difficulté serait aussi observée chez des personnes saines prédisposées aux hallucinations visuelles. 4
Ces découvertes illustrent l’utilité de former des perceptions cohérentes entre le monde et soi, tout aussi subjectives qu’elles puissent l’être. En effet, malgré ses biais, la perception reste notre principal moyen d’interaction avec le monde extérieur et même si celle-ci peut nous jouer des tours, ces mécanismes présentent une importante valeur adaptative. Après tout, la façon dont nous percevons les choses et les prédictions que nous faisons du monde sont ce qui nous permet de naviguer dans notre environnement, de prendre des décisions, d’interagir avec ce qui nous entoure et de survivre.
Références
- TED. (2017, 18 juin). Your brain hallucinates your conscious reality | Anil Seth | TED [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=lyu7v7nWzfo&list=PLcW5PbTSX8csNqo2TUGvwFht9MewJtnKe&index=2&t=723s
- Suzuki K, Seth AK, Schwartzman DJ. (2024). Modelling phenomenological differences in aetiologically distinct visual hallucinations using deep neural networks. Frontiers in Human Neuroscience, 3(17). https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10791985/#ref59
- The Royal Institution. (2021, 2 décembre). Is Reality a Controlled Hallucination? – with Anil Seth [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=qXcH26M7PQM&list=PLcW5PbTSX8csNqo2TUGvwFht9MewJtnKe&index=4
- Demeulemeester, M., Moroni, C., Kochman, F., Thomas, P. & Jardri, R. (2014). Hallucinations et cognition : une modélisation au service de notre pratique en neuropsychologie. Revue de neuropsychologie, 6, 117-128. https://doi.org/10.1684/nrp.2014.0298
Médiagraphie
L’échiquier d’Adelson et son cylindre vert. Futura. https://www.futura-sciences.com/sciences/photos/photos-top-15-illusions-optique-plus-surprenantes-691/photos-echiquier-adelson-son-cylindre-vert-4657/
Corrigé par Anne Martel, Émilie Pauzé et Charlene Allaire
Révisé par Ariane Chouinard
Illustration originale par Denitsa Marinova
