Par Vincent Morin
Je suis malade.
Il y a un an, j’ai décidé d’aller consulter un médecin à cause de mes symptômes inquiétants. Ce dernier m’a annoncé que j’étais atteint d’une maladie grave. Depuis, le mal a progressé et je suis souvent au lit à cause de mon manque d’énergie et de mes douleurs chroniques.
Lors de l’annonce du diagnostic, tout a changé dans ma vie. Des myriades de questions et de pensées négatives s’entrechoquaient dans ma tête, elles étaient toutes liées à la maladie. Il y avait très peu de place pour ce qui, normalement, aurait fait partie de ma quotidienneté. Je ne pensais plus à mes travaux en retard ou aux aliments qui allaient périmer dans le réfrigérateur. Après tout, c’est normal, car cette maladie n’est pas qu’une maladie, c’est un arrêt. Comme si l’Univers m’avait dit time out et me laissait ignorant de la suite. Cet arrêt touchait mon tennis, mes études, mon emploi et ma vie sociale.
À présent, le lot d’incertitudes lié à ma condition me crée beaucoup d’anxiété et de pensées négatives et récurrentes. Ce qui n’aide pas, c’est que j’ai trop de temps libre, donc j’y pense toujours. J’ai parfois peur de devenir fou.
Auparavant, je ne faisais pas vraiment partie des gens qui se demandent quel est le sens de la vie. Les questionnements existentiels étaient comme la pluie sur mon imperméable Arcteryx. J’étais sec. La maladie est venue m’arracher violemment mon imperméable. Quel est le but de ma vie désormais si je suis au lit vingt heures par jour et qu’il m’est impossible d’aller chercher un latté au coin de la rue ?
Ce que j’ai remarqué aussi, c’est que ma notion de temps a drastiquement changé. Avant, mes buts étaient orientés vers le futur. Mon passé me servait de guide pour savoir comment agir. Maintenant, je suis forcé de vivre dans un présent qui est nouveau, inconnu et épeurant. Avec un peu de recul, je vois une certaine futilité dans mes occupations du passé.
Désormais, mon univers se limite à ma chambre. Avant, je me déplaçais où je voulais. Le monde entier m’était accessible. Il semblait que j’étais en contact avec tout. Je sentais des courbatures après mes parties de tennis, je respirais toutes les épices au marché Jean-Talon et je touchais la chaleur de ma personne bien-aimée sous les draps. Sans nécessairement m’attarder à la magie de ces sensations, elles demeuraient à ma portée.
Mes draps sentent la chambre d’hôpital, les murs blancs ennuient mes rétines, mes muscles fondent comme du beurre au soleil et mes articulations se raidissent sous les néons froids de ma chambre.
J’ai changé d’emploi : je suis à présent un patient au lit à temps-plus-que-plein. J’ai dû revoir, malgré moi, tous mes objectifs de vie. D’une certaine façon, c’est comme si mon corps m’abandonne et me force à changer. C’est d’autant plus frustrant, car j’étais habitué à me servir de mon corps comme un outil : je lui envoyais des commandes pour marcher jusqu’à l’épicerie, pour conduire ma voiture, pour danser, pour frapper une balle au tennis. Désormais, la relation est inversée. C’est mon corps qui m’annonce qu’il est temps que j’aille me coucher à cause de la fatigue. C’est mon corps qui me fait souffrir et qui m’empêche souvent de dormir. C’est mon corps lésé qui dicte mes comportements. Il est maintenant devenu l’objet de la maladie et plus étranger à moi que jamais.
En passant du monde des personnes en bonne santé à celui des personnes malades, je me suis senti à part socialement. Je sais qu’on ne devrait pas définir le malade par sa maladie, mais mon expérience avec mes proches et mes amis me fait croire autrement. On m’approche comme un malade, comme un faible, avec de la pitié et du malaise. Les quelques personnes qui me parlent encore me demandent souvent comment je vais. Hélas, peu de changements seront intéressants pour eux, donc je reste en terrain superficiel. Ça va, je suis encore ici, dans la même chambre. Les rares fois où j’ai essayé d’expliquer l’évolution (bien invisible pour eux) dans ma condition ou dans mes pensées, je ne voyais que des gens bien intentionnés à m’écouter, mais maladroits. Ils ne manquent pas l’opportunité de me parler de leurs 1001 nouvelles dans leur vie. Ils croient pouvoir me remonter le moral. Je ne fais plus partie de ce monde frénétique et c’est difficile pour moi. Pour contribuer à mon mal-être, comme je ne parle plus des réalités « normales » du monde, je me sens devenir très maladroit socialement. En vivant dans un monde parallèle, pour moi, c’est une fatalité.
Je veux m’exprimer et me sentir écouté. Réellement écouté. Je veux pouvoir parler de toutes mes frustrations intérieures, de ma joie d’avoir mangé une bonne lasagne végé, de la nouvelle chanson de Grand corps malade sur son handicap. Et ce, sans voir derrière les yeux de mon visiteur qu’il a seulement hâte que je lui demande « et toi? », afin qu’il me parle de son nouveau VUS. Me sentir écouté m’aiderait à rejoindre un instant le monde des sains qui m’est inaccessible.
M’adapter est un combat perpétuel avec des hauts et des bas. Accepter ma nouvelle réalité m’a pris plusieurs mois, et je la refuse encore parfois. Il faut quand même que je profite de la vie. Pour ce faire, je la perçois différemment. Dorénavant, je suis conscient de ce qui se passe autour de moi, à une échelle plus petite et plus lente.
Mon attention est maintenant rivée sur les petits détails. Je vois le changement des saisons, je porte attention aux lignes de mes mains, je vois les plantes pousser et je repère tous les petits défauts dans les murs et les joints. Ce n’est pas autant stimulant que mes expériences du passé, mais cela me permet d’avoir des réflexions intéressantes à un niveau plus lent, plus posé.
Avec le recul, je me demande ce qu’était ma vie précédente. Cette recherche effrénée de prestige, de connaissances et d’argent que j’avais me semble illusoire, aliénante. Je m’actualise autrement, même si je m’ennuie de mes passions du passé.
Ce récit fictionnel a été écrit par une personne qui n’a pas de problème majeur de santé. Les faits décrits sont tirés de sources fiables quant au vécu des personnes malades et aux personnes alitées. Certains passages sont durs et c’était intentionnel, afin de créer un effet plus choquant sur la réalité des personnes atteintes par des maladies ou par des blessures graves. Pour en savoir davantage, le lecteur est invité à consulter « Garder le lit » – Essai phénoménologique de l’alitement, écrit par Jan Hendrick van den Berg. Ce texte traite de l’alitement sous diverses facettes. Notamment, il propose des façons d’entretenir une vision positive de la vie et il donne des trucs pour des interactions authentiques et riches entre le visiteur et l’alité.
Références
Fischer, G., Tarquinio, C. & Dodeler, V. (2020). Chapitre 5. Psychologie de la maladie. Les bases de la psychologie de la santé: Concepts, applications et perspectives (p. 143-171). Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.fisch.2020.02.0143
Pedelini, J. (1999). Approche de la recherche clinique en psychologie. Recherche en soins infirmiers, 59, 9-14. DOI 10.3917/rsi.059.0009
Pistoria, J. (2021, août). Problèmes dus à l’alitement. Le manuel Merck. https://www.merckmanuals.com/fr-ca/accueil/sujets-particuliers/soins-%C3%A0-l-h%C3%B4pital/probl%C3%A8mes-dus-%C3%A0-l-alitement-prolong%C3%A9
Van den Berg, J.H. (2007). « Garder le lit » – Essai phénoménologique de l’alitement. Collection du CIRP, 1, 17-48. ISBN 978-0-9781738-7-6.
Corrigé par Anne-Marie Parenteau, Megan Racine et Ariane Pomerleau
Révisé par Florence Grenier
Illustration originale par Laurie-Anne Vidori
