Par Ryan Derfoul
La conscience, cette aptitude profonde à ressentir, à observer et à se reconnaître, a constamment alimenté les discussions philosophiques, scientifiques et spirituelles. Bien que les neurosciences aient fait d’énormes progrès, la nature exacte de la conscience demeure une énigme majeure. De multiples théories ont vu le jour, mais aucune n’a réussi à déchiffrer complètement le mystère de notre expérience subjective, c’est-à-dire la raison pour laquelle nous ressentons une telle intensité d’existence. C’est dans cette optique que le défi majeur, appelé le « Hard Problem » de la conscience, a été mis en lumière et analysé.
Envisageons l’expérience de pensée proposé par Frank Jackson (1982) : imaginez Mary, une scientifique ayant passé toute sa vie dans un laboratoire monochrome, en nuances de gris. Bien qu’elle détienne une connaissance théorique approfondie des couleurs, que se passerait-il si, un jour, elle voyait la couleur rouge pour la première fois ? Cette confrontation directe avec la couleur lui apporterait-elle une perspective inédite, malgré son expertise préalable ?
Le terme «Hard Problem» a été popularisé par le philosophe David Chalmers dans les années 1990. Il réfère à la difficulté d’expliquer comment et pourquoi nous vivons des expériences subjectives. Autrement dit, pourquoi éprouvons-nous une sensation en voyant une couleur, en entendant un son ou en touchant une surface ? Pourquoi ces phénomènes ne sont-ils pas simplement mécaniques et dépourvus de ressenti ?
Chalmers distingue deux catégories de problèmes relatifs à la conscience : les « Easy Problems » et le «Hard Problem». Les premiers peuvent être abordés par une approche réductionniste, comme le font actuellement les neurosciences et les sciences cognitives en tentant de cartographier le cerveau à partir de relations fonctionnelles. Théoriquement, une cartographie complète du cerveau pourrait nous permettre de comprendre les mécanismes sous-jacents à notre expérience consciente, à savoir comment tel mécanisme fonctionne, nous permettant ainsi de percevoir.
L’exemple de Mary illustre les limites de nos descriptions actuelles du monde physique : elles ne parviennent pas à capturer l’essence de l’expérience subjective, c’est-à-dire ce que cela fait réellement ressentir. Par exemple, bien qu’elle n’ait jamais vu le rouge, si son spectre visuel était inversé, elle pourrait très bien percevoir le rouge comme du vert. Elle reconnaîtrait cette couleur comme « rouge » en se basant sur ses connaissances, mais son vécu subjectif différerait du nôtre. Cela met en évidence la complexité inhérente à la compréhension de la conscience : bien que nous puissions détailler et analyser les mécanismes physiques et neurologiques, l’aspect subjectif de l’expérience demeure énigmatique et propre à chaque individu. Face à ces défis, Chalmers a proposé une nouvelle orientation en 2018 en introduisant le concept du «Meta Hard Problem» de la conscience.
Le “Meta Hard Problem” de la conscience
L’exploration du «Hard Problem» de la conscience a conduit à la mise en lumière d’une énigme potentiellement plus complexe : le «Meta Hard Problem» de la conscience. Alors que le «Hard Problem» se penche sur la nature des expériences subjectives, le «Meta Hard Problem» s’interroge sur les raisons pour lesquelles cette question (le «Hard Problem») est si préoccupante. Pourquoi la conscience est-elle perçue comme un mystère si profond ? Selon Chalmers(2018), la perplexité face à la conscience ne découle pas seulement de la difficulté à la définir, mais aussi de l’intuition que la conscience possède une qualité unique, la rendant distincte des simples processus physiques ou neuronaux.
Enfin, cela nous conduit à une interrogation cruciale : notre perception de la conscience est-elle juste ? Est-elle le fruit de nos limitations cognitives, de notre anthropocentrisme, ou encore de notre évolution biologique ? Peut-être que notre intérêt pour la conscience est une adaptation évolutive nous incitant à l’introspection, à développer une théorie de l’esprit et à mieux interagir socialement. Certains experts tel que estiment que le «Meta Hard Problem» est un non-problème, arguant que notre perplexité face à la conscience découle de notre ignorance actuelle. Selon eux, à mesure que la science avance, ce mystère se dissepera. Néanmoins, d’autres considèrent que c’est une question pertinente méritant une étude approfondie. D’autres adoptent une position plus radicale, argumentant que l’expérience consciente est une illusion.
La quête de compréhension de la conscience nous rappelle l’immensité de ce que nous ne savons pas encore et la profondeur de notre désir d’explorer l’inconnu. Bien que nous ayons fait des progrès significatifs dans de nombreux domaines de la connaissance, la conscience reste un territoire largement inexploré, nous rappelant notre humilité face à l’univers. Qu’elle soit perçue comme un mystère insaisissable, une illusion ou un produit de notre évolution, la conscience est indéniablement au cœur de l’expérience humaine. Elle nous défie, nous intrigue et nous inspire à poursuivre notre quête de compréhension, nous rappelant constamment la complexité et la beauté de l’existence humaine.
Références
Chalmers, David J. « The Meta-Problem of Consciousness », 2018.
Jackson, Frank (1982). « Epiphenomenal Qualia ». Philosophical Quarterly. 32 (127): 127–136. doi:10.2307/2960077. JSTOR 2960077.
Corrigé par Gabrielle Johnson, Émilie Pauzé et Mélanie Picard
Révisé par Ariane Chouinard
Illustration originale par Denitsa Marinova
