Par Justine Fortier
Bientôt un mois depuis le début de la session et déjà commencent à s’accumuler les obligations. Au sein de l’équilibre précaire formé par les études, le travail, les loisirs, les événements sociaux et les responsabilités qu’impliquent la vie d’étudiant.e, difficile de naviguer à travers son horaire sans que ne s’y installe un certain retard. Malgré les indénombrables résolutions de fins de session passées à promettre de ne plus s’y prendre à la dernière minute, le cycle se poursuit, les tâches se reportent, l’entropie gagne du terrain et la procrastination revient inévitablement.
- Motivation et émotions
Tout d’abord, la procrastination peut être conceptualisée à titre d’échec d’autorégulation2 au cours duquel l’individu privilégie le comportement lui rapportant un soulagement à court terme plutôt que l’atteinte de son objectif à long terme. En conformité avec la théorie de l’autodétermination émise par Deci et Ryan3, la tâche à accomplir n’est pas intrinsèquement motivante et celle-ci est régulée par les conséquences en découlant. Ainsi, en souhaitant contenir l’affect négatif que procure son exécution, la personne choisit de la reporter et en obtient par le fait même une satisfaction quasi instantanée4. En somme, le fait de remettre à plus tard une activité jugée désagréable serait donc lié à un faible niveau de régulation émotionnelle amenant l’individu à privilégier la gratification immédiate.
| La procrastination Se définissant comme la tendance à remettre systématiquement à plus tard une tâche pour laquelle a été pris un engagement préalable1 , la procrastination est un phénomène universellement observable. * Bien que son expression se traduise généralement par une attitude d’évitement pouvant s’apparenter à la paresse, son fondement s’avère être beaucoup plus complexe. De fait, il sera abordé en quoi ses causes multiples s’inscrivent dans un rapport dynamique et interagissent de manière à favoriser son maintien. |
- Selon un perspective évolutive
Par ailleurs, l’impulsivité a été démontrée comme étant un prédicteur fiable de la procrastination5, toutes deux possédant des influences génétiques communes. En effet, une étude menée par Gustavson et ses collègues6 a pu démontrer l’héritabilité de ces deux traits, tout comme la corrélation parfaite entre ces derniers une fois leur variation génétique partagée prise en compte. Ainsi, la procrastination serait apparue comme un dérivé évolutif de l’impulsivité7 et serait également liée à la capacité à gérer plusieurs responsabilités simultanément. Historiquement, l’impulsivité a constitué un trait adaptatif chez les individus ayant évolué au sein d’un environnement imprévisible comportant un haut risque de mortalité. Favorisant une prise de décision rapide axée sur les bénéfices à court terme, cette dernière y était particulièrement avantageuse puisqu’elle permettait de s’adapter à un milieu en constant changement. De manière analogue, la procrastination aurait pu y jouer un rôle adaptatif, celle-ci évitant une dépense énergétique dans une tâche dont la récompense éloignée risque de ne pas être obtenue8.
- Conditionnement et renforcement
De plus, le phénomène de la procrastination peut être envisagé selon une perspective béhavioriste, où le maintien d’un tel comportement peut alors s’expliquer à partir des principes du conditionnement opérant9. Afin d’illustrer ces propos, il est possible d’envisager le cas d’un individu devant compléter une longue dissertation lui demandant de fournir une quantité d’efforts importante. L’épuisement représente dès lors un stimulus aversif associé aux périodes d’écriture intensives, tandis que le travail à réaliser est considéré à titre de stimulus discriminatif. En l’occurrence, procrastiner permet d’éviter le stimulus aversif par le report de la tâche à effectuer et vient par le fait même renforcer le comportement d’évitement. L’absence de fatigue agit donc à titre de renforcement négatif, tandis que le soulagement procuré par l’ajournement de la tâche représente un renforcement positif. De fait, la récompense associée à l’exécution du travail étant lointaine et nécessitant plusieurs périodes soutenues de productivité, l’individu est d’autant plus susceptible de privilégier le comportement lui rapportant un renforcement à court terme.
- Interaction entre dispositions personnelles
Par ailleurs, une faible estime de soi et un faible sentiment d’efficacité personnelle ont tous deux été associés à un niveau élevé de procrastination10. En effet, ces éléments s’influencent mutuellement de sorte à favoriser des comportements d’évitement. Alors que certaines études insistent sur le rôle médiateur de l’auto-efficacité afin d’expliquer la corrélation entre les deux autres variables11, d’autres concluent à la prépondérance de l’estime de soi quant à la prédiction du niveau de procrastination des individus12. Dans tous les cas, les chercheur.euse.s s’entendent sur l’influence que possèdent le sentiment d’efficacité personnelle, davantage spécifique à l’activité en question, et l’estime de soi, mesure plus globale de l’appréciation de la valeur personnelle, sur la tendance à procrastiner. D’autre part, une étude s’étant penchée sur les apports de plusieurs facteurs dispositionnels à même d’infléchir le niveau de procrastination a été en mesure de séparer les participant.e.s en quatre groupes distincts présentant des caractéristiques similaires13. À l’intérieur de celle-ci, le groupe associé au plus haut taux de procrastination se définissait par une forte impulsivité, des stratégies de régulation émotionnelle inadaptées, une basse estime de soi et une faible motivation extrinsèque à régulation identifiée14. Ainsi, les causes amenant une personne à procrastiner sont multifactorielles et ne se résument donc pas simplement à de la paresse ou à un manque de contrôle personnel.
- Se protéger de l’échec en le provoquant
Finalement, le fait de procrastiner peut également être interprété en tant que mécanisme de défense voué à préserver l’estime de soi15. En créant un obstacle à sa propre réussite, soit le report chronique de la tâche à accomplir, l’individu dispose alors d’une excuse préalable justifiant son échec potentiel sans toutefois remettre en question sa compétence. Une telle réponse peut dès lors constituer une forme d’auto-handicap comportemental16, où la mise en place d’une stratégie défavorable précédant sa performance permettra d’expliquer son insuccès à l’aide de facteurs externes. Conséquemment, alors qu’un échec n’affectera pas son estime de soi puisqu’il ne sera pas attribuable à ses facteurs dispositionnels, mais bien à son manque de préparation17, une réussite sera doublement valorisante, puisqu’elle aura été accomplie en dépit de circonstances limitantes. En résumé, confronté à la peur de l’échec, l’individu cherche à se protéger d’une menace susceptible d’atteindre son égo en posant une action minant ses chances de succès.
En conclusion, la procrastination est un phénomène complexe et universel ne se limitant pas à un simple manque de volonté. À la fois influencée par des facteurs motivationnels, comportementaux, cognitifs et dispositionnels, sa manifestation résulte de l’interaction de ceux-ci et ne peut se réduire à une explication unique. En s’intéressant aux raisons nous poussant à reporter ces tâches pourtant urgentes, peut-être arriverons-nous à mieux cibler les éléments favorisant le maintien de ce cycle procrastinatoire et à progressivement s’en sortir.
Références
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(3) 1985
(4) Sirois, F., & Pychyl, T. (2013). Procrastination and the priority of short-term mood regulation: Consequences for future self. Social and Personality Psychology Compass, 7, 115–127. http://dx.doi.org/10.1111/spc3.12011.
(5) Steel, P. (2007). The nature of procrastination: A meta-analytic and theoretical review of quintessential self-regulatory failure. Psychological Bulletin, 133, 65–94. http://dx.doi.org/10.1037/0033-2909.133.1.65
(6) 2014
(7) Steel P. (2010). The procrastination equation: How to stop putting things off and start getting stuff done. Random House.
(8) Fenneman, J. & Frankenhuis, W. E. (2020). Is impulsive behavior adaptive in harsh and unpredictable environments? A formal model. Evolution and Human Behavior. 41(4), 261-273.
(9) Zentall T. R. (2021). Basic Behavioral Processes Involved in Procrastination. Frontiers in psychology, 12, 769928. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2021.769928
(10) Zhang, Y., Dong, S., Fang, W., Chai, X., Mei, J., & Fan, X. (2018). Self-efficacy for self-regulation and fear of failure as mediators between self-esteem and academic procrastination among undergraduates in health professions. Advances in Health Sciences Education, 23(4), 817–830.
(11) Batool, S.S., Khursheed, S., & Jahangir, H. (2017). Academic Procrastination as a Product of Low Self-Esteem: A Mediational Role of Academic Self-efficacy. Pakistan Journal of Psychological Research, 32.
(12) Hajloo N. (2014). Relationships between self-efficacy, self-esteem and procrastination in undergraduate psychology students. Iranian Journal of Psychiatry and Behavioral Sciences, 8(3), 42–49.
(13) Rebetez, M.M., Rochat, L., & Linden, M.V. (2015). Cognitive, emotional, and motivational factors related to procrastination: A cluster analytic approach. Personality and Individual Differences, 76, 1-6.
(14) Ibid
(15) Ferrari, J. R. (1991). Self-Handicapping by Procrastinators: Protecting Self-Esteem, Social-Esteem, or Both? Journal of Research in Personality, 25, 245-261. http://dx.doi.org/10.1016/0092-6566(91)90018-L
(16) Berglas, S., & Jones, E. E. (1978). Drug choice as a self-handicapping strategy in response to noncontingent success, Journal of Personality and Social Psychology, 36, 405-417.
(17) Salomon, J., Famose, J., & Cury, F. (2005). Les stratégies d’auto-handicap dans le domaine des pratiques motrices: valeur prédictive de l’estime de soi et des buts d’accomplissement. Bulletin de psychologie, 475, 47-55.
Corrigé par Gabrielle Johnson, Émilie Pauzé et Mélanie Picard
Révisé par Ariane Chouinard
Illustration originale par Mariam Ag Bazet (@marapaname)
